Maurice de Vlaminck (1876-1958) a payé cher son renoncement à la peinture d’avant-garde à la veille de 1914. Trop cher. Éclipsé par Matisse et Derain, le peintre de Chatou fait pourtant partie des grands fauves. Le musée du Luxembourg en apporte la preuve, en couleurs.
La contribution de Vlaminck à l’émergence du fauvisme tient essentiellement à « cette rage de recréer un monde nouveau », comme il le disait lui-même, et de le recréer par la couleur. À la façon de Matisse et des audaces chromatiques de son Bonheur de vivre (1905). Dans un ouvrage qu’il a publié en 1929, intitulé Tournant dangereux, Maurice de Vlaminck se
souvient avec une certaine nostalgie de ce moment de grande intensité de son fauvisme : « Je haussais les tons... j’écrasais et je gâchais les outremers, les vermillons... Je souffrais de ne pouvoir frapper plus fort, d’être arrivé à un maximum d’intensité. »
Vlaminck s’efforçait de peindre avec son cœur et ses reins
Vlaminck n’a pourtant aucun regret à avoir. Le portrait flamboyant qu’il brosse de son ami André Derain (1906), ce Pont de Chatou (1906) aux couleurs chatoyantes ou bien encore cette improbable Rue de Marly-le-Roy (1905-1906) sont autant de pièces à conviction du courage qu’il a eu – selon les mots de Matisse – « de retrouver la pureté des moyens », point de départ du fauvisme pour ce dernier. C’est donc là la marque fauve de Vlaminck, une sorte de détachement résolu du réel au bénéfice exclusif de la couleur. De la couleur pure.
L’hommage de l’aîné au cadet est aussi une façon de dire la dette du fauvisme à l’égard de Vlaminck. Ni pionnier, ni suiveur, celui-ci y a participé en toute indépendance d’esprit, n’hésitant pas à lui tourner le dos le moment venu si telle était la nécessité du travail. Avec une rare délectation, Vlaminck s’abandonna à la puissance de la couleur et à la violence de la
sensation immédiate, sans jamais éprouver la nécessité du moindre recul. Il semblait s’efforcer de ne peindre qu’avec son cœur et ses reins, se faisant ainsi le défenseur inconditionnel d’un art pleinement subjectif, comme en témoignent ses tableaux.
De fait, quel que soit le motif dont il s’empare – Les Péniches à Chatou, La Fille du Rat Mort ou Les Ramasseurs de pommes de terre, trois tableaux datés de 1905 –, la trace du geste du peintre témoigne du plaisir très physique qu’il a à manipuler librement la couleur. Usant de touches en virgules ou en tirets semblant refuser de se soumettre au schéma de la composition, Vlaminck utilise une palette aux tons extrêmement purs, l’obligeant à « monter les autres parties du tableau à l’unisson », comme l’observait Matisse. Les Arbres rouges (1906) en sont une éclatante illustration, non seulement dans ce besoin qui l’anime de « frapper fort » mais, paradoxalement, dans cette recherche qui l’obsède d’une harmonie.
La couleur pure ou l’éloge de l’effusion colorée
On pourrait dire de Maurice de Vlaminck qu’il est un entraîneur tant il est animé d’une incroyable énergie communicante. Une énergie vitale qui en appelle à des principes et à des manières rudimentaires. La simplicité efficace de ses compositions, la force et la beauté crue de sa palette, la pâte généreuse et franche de sa touche confèrent à chacun de ses
tableaux une incontournable présence physique. Qui force et contraint le regard à se fixer sur l’image peinte et à y pénétrer au plus profond pour mieux l’appréhender. Dans tous ses creux et ses reliefs, ses coins et ses recoins, ainsi de sa Nature morte au compotier (1905).
Rarement le regard n’a fait autant l’expérience de la matière picturale parce que Vlaminck nous la livre comme à la sortie du tube. Aussi parce qu’il utilise volontiers des couleurs les plus basiques – les trois couleurs primaires – et que, les pressant hors du tube, il déchaîne une explosion soudaine et sommaire, d’une violence affectée.
On pourrait dire de l’art de Maurice de Vlaminck qu’il fait l’éloge de l’effusion colorée dans des raccourcis de sens et de formes qui visent tant à dire et embrasser le monde qu’à y vérifier sa propre présence. Face à ses motifs, le peintre veut tout à la fois s’en emparer, en saisir le caractère et s’exprimer soi-même tout entier. Paysages, portraits, natures mortes, Vlaminck aborde tous les genres et les traite également. Son impétuosité bat le flanc de la touche pointilliste au bénéfice d’un large trait de brosse, voire d’aplats ; elle l’oblige à simplifier la structure, négligeant profondeur et dessin, dans une véritable table rase des modèles et des conventions en usage. Sa Femme au chien de 1906 en est une cinglante illustration.
« Le fauvisme, c’est moi !
Ma façon de refuser l’école... »
« En art, professait Vlaminck, chaque génération doit tout recommencer. L’art est individuel, comme l’amour. » D’où cette propension non àl’intelligence, ni à la sensibilité, mais à la sensation. La sensation forte,brute, sans ambages ni discours. Si, avec le fauvisme, c’en est fini des apparences subtiles, fer de lance des impressionnistes, tout prend chez Vlaminck des proportions considérables. Tout y est excès, outrance, comme en témoigne ce Paysage de la vallée de la Seine ou Paysage d’automne de 1905 d’un rouge hypersaturé. C’est que son art de la couleur est synonyme d’un art de la synthèse portée à ses extrémités.
« Ce qu’est le fauvisme, s’exclamait Vlaminck, c’est moi !... Ma façon de me révolter et de me délivrer ensemble, de refuser l’école... » Pour lui, la peinture n’est pas une expérience esthétique, mais un jaillissement viscéral, un exutoire, un abcès de fixation parce qu’à la base de l’art, il y a l’instinct. « Je n’ai jamais travaillé, j’ai peint », aimait-il proclamer comme pour balayer d’un revers de mots toute tentative d’analyse intellectuelle de son travail. « Ce que je poursuis avant tout, c’est l’expression », écrit Matisse dans ses Notes d’un peintre en 1908. Ce que poursuivait Maurice de Vlaminck, c’était la sensation, le ressenti, et c’est ce qui le distinguait.
Repères
1879
Naissance de Vlaminck à Paris.
1900
Le peintre rencontre André Derain.
1905
Expose dans « la cage aux fauves » au Salon d’automne.
1906
Ambroise Vollard lui achète la majeure partie de son atelier.
1914
Mobilisé, il est affecté comme tourneur dans une usine.
1925
Fuyant Paris, Vlaminck s’installe à Rueil-la-Gardelière.
1937
Publie « Le Ventre ouvert » puis, en 1943, « Portraits avant décès ». Vlaminck a écrit une vingtaine de romans, poèmes et essais.
1958
Vlaminck décède à Rueil-la-Gardelière.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Vlaminck, la couleur à bras le corps