Par sa scénographie expérimentale, et parfois bancale, « Éblouissante Venise », présentée dans les Galeries nationales du Grand Palais, réussit en partie seulement à faire revivre les derniers feux de la Sérénissime.
Paris. Hasard du calendrier, au moment où l’exposition « Rencontres à Venise : Étrangers et Vénitiens dans l’art du XVIIe siècle » (lire le JdA no 506, 7 sept. 2018) fermait ses portes à Ajaccio, « Éblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle » ouvrait les siennes au Grand Palais à Paris. Rarement la Sérénissime aura connu pareil engouement en un laps de temps aussi court sur le sol français.
Si Ajaccio avait pris le parti d’un parcours sobre et rythmé par des œuvres méconnues, la Venise du Grand Palais se veut éblouissante, théâtrale, portée par des têtes d’affiche susceptibles d’attirer le plus grand nombre : Canaletto, Guardi et Tiepolo.
À la direction artistique et scénographique, Macha Makaïeff, directrice du Théâtre national La Criée à Marseille, ose beaucoup – trop peut-être –, et livre un parcours disparate, pourtant composé d’incontestables chefs-d’œuvre collectés pour l’occasion par la commissaire Catherine Loisel auprès des musées vénitiens.
La première salle frappe un grand coup : doges et procurateurs, peints ou sculptés, posent chacun leur regard sur le spectateur tandis que les canaux et les palais de Canaletto et Guardi forment un exceptionnel échantillon de ces vedutti qui ont fait la renommée des peintres vénitiens. Le visiteur devient le témoin d’une oligarchie tout à la fois spectaculaire et crépusculaire. Dans le Portrait du procurateur et capitaine général de la mer Daniele IV Dolfin, Giambattista Tiepolo peint dans les années 1750 un édile fier et assuré. Malgré ses traits ingrats, le procurateur est monumental et impérial, paré de la pourpre symbole de son rang élevé. Qui se doute alors que, cinquante ans plus tard, la lagune va tomber aux mains de Napoléon Bonaparte ?
Après cette magnifique entrée en matière, une antichambre consacrée à la musique offre quelques notes de Vivaldi et le portrait de Farinelli, célèbre castrat immortalisé par Bartolomeo Nazari pour un mécène anglais. La salle consacrée aux arts décoratifs, censée faire revivre le luxe extraordinaire des palais vénitiens, pêche par une absence remarquée : le verre de Murano. Certes, un miroir et un fauteuil portent les belles incrustations bleues caractéristiques de l’art de la lagune, et un étonnant bénitier en cristal fait de fleurs en verre moulé illustre l’art des verriers. Mais l’éblouissement promis tarde un peu.
Les cimaises se parent ensuite de peintures. Les accents post-caravagesques de la Judith et Holopherne (vers 1716-1720, Académie de Saint-Luc, Rome) de Giambattista Piazzetta côtoient le maniérisme d’un Gaspare Diziani (1689-1767), tandis que Giulia Lama, magnifiquement portraiturée par son ami Piazzetta, livre un très beau Martyre de saint Jean (vers 1720, Musée des beaux-arts de Quimper). Les œuvres de Tiepolo sont parsemées dans ce parcours chamarré qui semble avoir été conçu en fonction des contraintes des espaces disponibles sur les cimaises.
Ces premières salles auraient sans doute gagné à constituer le noyau du parcours car une rupture intervient alors : une vidéo conçue par Macha Makaïeff en rompt le récit. Une envolée de robes autour d’une volée de marches, très poétique, mène à une salle fondamentale, mais traitée a minima sur le plan scénographique. La diaspora des artistes vénitiens dans les foyers artistiques européens aurait mérité un développement beaucoup plus important pour comprendre la complexité des influences de la cité dans l’art européen du XVIIIe siècle. La place et le temps manquant déjà, il fallait encore évoquer « Le mythe de Venise », à travers les scènes de carnaval et de fêtes de Giandomenico Tiepolo (fils de) et Pietro Longhi. La salle est occupée par une estrade vide un peu triste : il faut venir le mercredi soir, lorsqu’elle se peuple de comédiens. Ici est exposée une magnifique séquence de petits tableaux de Longhi ainsi que d’étonnants Polichinelles et Saltimbanques (1797, Museo del Settecento Veneziano, Venise) désarticulés, comme cette République qui se défait alors.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Venise, un éclat bien tempéré