À côté de l’exposition internationale organisée par Harald Szeemann, les pavillons nationaux de la Biennale de Venise restent la pierre angulaire de la manifestation. Au rythme d’un par pays, la trentaine d’espaces répartis dans les Giardini déclinent des expositions où se croisent des noms prestigieux tel Robert Gober pour les États-Unis, ou des jeunes premiers à l’image de Gregor Schneider pour l’Allemagne. Parallèlement, nombre de pays plus récemment présents sur la scène artistique mondiale proposent diverses expositions à travers la ville. Revue des troupes.
Régional de l’étape, le critique Germano Celant participera de façon “étrangère” à la Biennale de Venise. Il est commissaire général du pavillon brésilien où sont présentés les travaux de Vik Muniz et Ernesto Neto, ce dernier étant par ailleurs simultanément présent dans l’exposition d’Harald Szeemann. Celant, qui n’est pas homme à faire les choses à moitié, organisera parallèlement une exposition sur ces mêmes artistes au palais Fortuny, ainsi qu’une rétrospective sur l’art brésilien du XVIIe au XVIIIe siècle dans l’église de San Giacomo ! De façon plus modeste, l’espace réservé au pavillon vénitien sera entièrement consacré au travail du regretté Alighiero e Boetti. La 49e édition de la Biennale de Venise ne fait pas exception à la règle, et de nombreux pays ont opté pour des monographies, à la manière de Robert Gober qui représentera les États-Unis. L’intervention de ce dernier ne se limite toutefois pas à l’édifice, elle intègre également dans son dispositif son environnement, avec une composante architecturale qui offre à l’extérieur une nouvelle lecture du bâtiment américain. À l’intérieur sont présentés trois gravures, une photographie, un livre d’artiste, et des sculptures dont certaines en matière noble – comme le bronze – et d’autres faites à partir de matériaux issus du quotidien dans la tradition du ready-made.
De la même façon, Gregor Schneider, connu pour ses labyrinthes domestiques déjà présentés à l’Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, devrait bouleverser la perception usuelle du pavillon allemand, tout comme le spectacle multimédia du collectif Granular=Synthesis, programmé dans le pavillon autrichien au côté des travaux de gelatin qui œuvre sur le corps humain. Choisi par Pedro Lapa, le Portugais João Penalva promet aussi aux visiteurs un dépaysement complet. Inspiré des Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner, il a composé un parcours dans lequel évolue l’idée de la compétition, de ses règles et de la mémoire : des photographies d’époque, un salon traditionnel style XIXe siècle en velours rouge, et une vidéo montrant un championnat de gymnastique interagissent dans une pluralité de langages.
À côté de ces pavillons “séculaires”, parmi lesquels il faut également citer la Suisse avec Urs Lüthi, l’Angleterre avec Mark Wallinger, la Suède avec Leif Elggren et Carl Michael von Hausswolff, ou encore la Belgique avec Luc Tuymans – dont la série de peintures Mwana Kitoko - Beautiful White Man promet de réveiller les fantômes des colonies –, s’opère un nouveau record de participations à la manifestation. Plus de soixante pays se sont inscrits et ont inondé d’expositions le centre historique de Venise, les îles et même la terre ferme, à l’image de l’Institut italo-latino américain délocalisé à Trévise. Pour marquer le coup, la Nouvelle-Zélande a prévu une danse propitiatoire du groupe Maori Pounamu Kai Tahu sur la place Saint-Marc à l’aube du septième jour à 6 heures ! Tous deux descendants des Maori, Jacqueline Fraser et Peter Robinson exposeront quant à eux au couvent de Sant’Apollonia. La Turquie se fait pour sa part remarquer par le thème qu’elle a choisi. Tiré d’un poème érotique du XVe siècle écrit par Muhammed el Nezfavi, Le Jardin parfumé servira de terrain de jeux à Guven Incirlioglu, Murat Morova, Butch Morris, Sermin Ahmet Öktem, et Sermin Sherif, tous simultanément présents à l’Arsenal et à la galerie Nuova Icona. Autre débutante dans ce bal, la Jamaïque expose les sculptures d’Arthur Simms, les peintures vives de Keith Morrison et les photographies d’Albert Chong. Enfin, le Chili consacre une exposition à Juan Downey.
Mais, indéniablement, le nouveau vient de l’Est. Ainsi, les trois Républiques baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie) exigent d’être représentées à part entière, tout comme l’Ukraine qui connaît un début très tourmenté. Les turbulences politiques nationales ont engendré l’arrivée d’un nouveau commissaire et une nouvelle sélection d’artistes, tous interprètes d’une génération toujours marquée par Tchernobyl. Si la République fédérale de Yougoslavie conserve son emplacement dans le pavillon vénitien aux Giardini, tous les états nés de la division ont essaimé à travers la ville. La République slovène présente deux artistes : Vuk Cosic, pionniers du “Net art”, mais partisan d’une technologie pauvre, et Tadej Pogacar, qui crée en dehors des voies artistiques traditionnelles en préférant le nomadisme et les réseaux subversifs. La Bulgarie devait figurer parmi les nouveaux arrivants, mais elle a dû renoncer à la dernière minute pour des raisons économiques. Cela n’a pas empêché Harald Szeemann de sélectionner Nedko Solakov pour son exposition.
Remarquée par sa présence lors de l’édition précédente, la scène asiatique – à l’image des artistes taïwanais qui, de Chien-Chi Chang à Wen-Chih Wang, seront cinq à se partager le Palazzo delle Prigioni Nuove – continue quant à elle son expansion. Singapour fait ses débuts avec Matthew Ngui, Salleh Japar, Suzann Victor et Chen KeZhan, lequel peindra une paroi sur une église de Venise. Faisant représentation commune, la Chine et Hongkong ont invité Leung Chi-wo et Ellen Pao, qui s’approprient la réalité urbaine et Ho Siu-kee qui affronte les manipulations du corps humain.
Malgré ces quelques thèmes partagés, une synthèse d’un point de vue artistique est impossible. Jugée anachronique par tous, la formule des pavillons nationaux n’en renaît pas moins chaque fois de ses cendres, tel un fidèle enregistrement des processus historiques et politiques. Ils ne sont nullement déterminés par la Biennale, mais celle-ci en est le fidèle reflet.
- 49e EXPOSITION INTERNATIONALE D’ART DE VENISE – PLATEAU DE L’HUMANITÉ, 10 juin – 4 novembre, Giardini di Castello – Arsenal, Venise, tél. 39 02 54914, tlj sauf lundi 10h-22h, samedi 10h-18h ; www.labiennale.org
Les artistes exposant dans les pavillons nationaux des Giardini de la Biennale de Venise
Allemagne : Gregor Schneider ; Australie : Lyndal Jones ; Autriche : gelatin et Granular=Synthesis ; Belgique : Luc Tuymans ; Brésil : Vik Muniz et Ernesto Neto ; Canada : George Bures Miller et Janet Cardiff ; Danemark : Henning Christiansen et Ursula Reuter Christiansen ; Égypte : Mostafa Ramzi ; Espagne : Ana Laura Aláez et Javier Pérez ; États-Unis : Robert Gober ; France : Pierre Huyghe ; Grande-Bretagne : Mark Wallinger ; Grèce : Ersi Hatziargyros et Nikos Navridis ; Hongrie : Tamás Komoróczky et Antal Lakner ; Islande : Finnbogi Pétursson ; Israël : Uri Katzenstein ; Japon : Masato Nakamura, Naoya Hatekeyama et Yukio Fujimoto ; Pays-Bas : Rob Johannesma, Job Koelewijn, Mark Manders, Liza May Post, Aernout Mik, Michael Raedecker, Frank van der Salm, Mike Tyler, Marijke van Warmerdam, Edwin Zwakman (également Ca’ Zenobio) ; Pays nordique – Finlande : Tommi Grönlund et Petteri Nisunen ; Pays nordique – Norvège : Andres Tomren ; Pays nordique – Suède : Leif Elggren et Carl Mikael von Hausswolf ; Pologne : Leon Tarasewicz ; république de Corée : Do-Ho Suh, Michael Joo ; république fédérale de Yougoslavie : Oleg Kulik et Milija Pavicevic ; République tchèque et République slovaque : Ilona Németh et Jiri Suruvka ; Roumanie : Gheorghe Rosovszky ; Russie : Olga Chernysheva, Sergei Shutov et Leonid Sokov ; Suisse : Urs Lüthi (Andy Gulh et Norbert Moslang, église San Stae) ; Uruguay : Rimer Cardillo ; Venezuela : VÁctor Hugo Irazábal.
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À Venise, le charme désuet des pavillons nationaux
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : À Venise, le charme désuet des pavillons nationaux