PARIS - Seul vestige tangible d’une âme évaporée, le squelette – et plus précisément le crâne – ne cesse d’être présent dans la culture populaire occidentale. Pourquoi et comment sommes-nous arrivés au point où la publicité, la mode et même de vulgaires jouets se retrouvent envahis par ce gimmick macabre ?
« C’est la vie ! », au Musée Maillol à Paris, mène l’enquête. « Chaque génération s’est attachée à cristalliser la vanité d’une civilisation pour se réapproprier sa mort et retrouver ainsi le cercle de vie », soutient Patrizia Nitti, l’une des commissaires de l’exposition. Est génériquement appelée « vanité » ou « memento mori » (rappelle-toi que tu vas mourir), toute œuvre d’art moralisatrice dans laquelle un crâne – ou un squelette – vient remémorer la fugacité de la vie et la futilité des biens matériels. Si cette acception est généralement associée aux œuvres du XVIe et du XVIIe siècle, « C’est la vie ! » nous rappelle la portée universelle de ce thème qui remonte à l’Antiquité (peut-être plus loin), et préoccupe aujourd’hui encore les artistes.
Avec docilité, le crâne a endossé les rôles qu’on lui a successivement attribués, religieux comme profane : moralisateur dans les natures mortes flamandes, objet de méditation (et même d’extase pour saint François), menace de mort et de violence, incarnation de l’horreur de la guerre, symbole du deuil de l’art… Dénominateur commun de toutes les vanités ici réunies, le crâne est également celui de l’humanité : « Tous égaux devant la mort », comme le rappelle, en guise de conclusion, le premier memento mori italien connu, une superbe mosaïque polychrome datée du milieu du Ier s. av. J.-C. et prêtée par Naples.
Voyage à travers les époques, « C’est la vie ! » n’oublie pas d’aborder la dimension philosophique de la vanité – quel collégien n’a pas un instant rêvassé, voire philosophé, sur le sens de la vie devant Anatole, squelette sagement suspendu dans tous les laboratoires d’école ? Réalisé à une époque « post-radiographique », où le crâne d’un être vivant est devenu visible, l’ensemble d’œuvres contemporaines de haute volée (Annette Messager, Claudio Parmiggiani, Miquel Barceló, l’« indispensable » Damien Hirst…) révèle une approche plus agressive, cynique ou encore comique, d’une réalité qui autrefois inspirait une contemplation résignée – voir l’Autoportrait de Robert Mapplethorpe, au visage émacié par le sida, dans la très belle section photographique.
Un tournant pour le musée
Il s’agit ici de la première manifestation organisée par Patrizia Nitti, nommée directrice artistique des lieux quelques mois après avoir été évincée de son poste de responsable des expositions de la Renaissance au Musée du Luxembourg, à Paris. Cette arrivée marque un tournant décisif pour le Musée Maillol, orphelin depuis le décès de sa fondatrice Dina Vierny il y a tout juste un an. L’enjeu est grand, d’autant que la fermeture du Musée du Luxembourg, depuis le 17 janvier, laisse un grand vide. Quel lieu prendra sa place tant en termes de programmation que de fréquentation ?
La Pinacothèque de Paris est évidemment bien placée. Et le Musée Maillol est aussi sur les rangs. L’exposition « C’est la vie ! » veut, en effet, frapper fort. Si elle peut déstabiliser par son contenu déséquilibré et éparpillé, son parcours chronologique pris à rebours ne choque pas en soi. Ainsi, le crâne en bronze, d’apparence classique, de Sheri Levine (2001) trouve un écho heureux auprès des tableaux du XVIe et du XVIIe siècle. Hormis la très belle salle consacrée aux œuvres contemporaines, la scénographie pêche cependant par endroits (et par vanité ?). Le parcours a dû être adapté pour accueillir l’important contingent d’œuvres qui empiètent sur les espaces normalement dévolus à la collection permanente. Les couloirs plongés dans l’obscurité et tendus de rideaux blancs aux reflets nacrés évoquent le décor précieux d’un cabaret frivole, puis, thématique mortifère oblige, finissent de transformer les étages en morgue de luxe. Une faute de goût qui ne dessert en rien les œuvres exposées.
Commissaires : Patrizia Nitti, directrice artistique du musée ; Claudio Strinati, directeur général du ministère italien de la Culture
Œuvres : plus de 150 (tableaux, sculptures, vidéos, bijoux…) réparties sur trois étages
Réédition : sous la direction d’Anne-Marie Charbonneaux, Les Vanités dans l’art contemporain, éd. Flammarion, 2010, 240 p., ill. couleurs, 49 euros, ISBN 978-2-0812-3800-8
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Vanité or not vanité
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Abonnez-vous dès 1 €C’EST LA VIE ! VANITES DE CARAVAGE À DAMIEN HIRST, jusqu’au 28 juin, Fondation Dina Vierny-Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com, tlj sauf mardi et jours fériés 10h30-19h, vendredi 10h30-21h30. Catalogue, éd. Skira-Flammarion, 240 p., 185 ill. couleurs, 40 euros, ISBN 978-2-0812-3792-6
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Vanité or not vanité