2015 marque les 125 ans de la disparition de Vincent Van Gogh (1853-1890). Cet anniversaire fait l’objet d’une cascade d’événements en France, en Belgique et surtout aux Pays-Bas, sa terre natale, qui ne cache pas se servir du peintre à des fins de marketing culturel. Au programme : expos, patrimoine, mais aussi comédie musicale et une piste cyclable !
Pour la première fois, les sites et les musées liés au peintre collaborent sous la houlette de Van Gogh Europe, une fondation créée en 2012 réunissant une trentaine de partenaires, qui vont de la Fondation Van Gogh à Arles au Musée Van Gogh d’Amsterdam, en passant par Mons 2015 et la ville d’Auvers-sur-Oise. La Hollande, particulièrement impliquée dans cette entreprise, propose une programmation vertigineuse mêlant expositions scientifiques et festivités folkloriques. Opportunément, cet anniversaire relativement mineur a été placé sous le thème « 125 ans d’inspiration », permettant ainsi de décliner à l’envi les initiatives y compris les plus fantaisistes. La nouvelle dynamique de réseau dope aussi la visibilité des lieux confidentiels ; là où le centenaire de sa mort s’était essentiellement concentré sur deux expositions blockbusters. Indéniablement, le marketing culturel a depuis connu une explosion inouïe et l’artiste est désormais une marque que tout le monde veut exploiter.
Amsterdam, l’incontournable
Le Van Gogh Museum d’Amsterdam est évidemment l’un des moteurs de cet anniversaire. Depuis 1973 il gère la plus vaste collection au monde d’œuvres du Hollandais : plus de 200 tableaux, 500 dessins et 750 lettres. Ses fleurons – Les Tournesols, Champ de blé aux corbeaux – attirent 1,6 million de visiteurs par an, venant à 83 % de l’étranger. Référence en matière de musée monographique, il offre un discours grand public de qualité tout en retranscrivant le travail pointu de son pôle de recherche, que poursuit notamment le catalogue raisonné du peintre. « Nous accueillons un public très diversifié, le touriste qui vient pour les icônes autant que l’amateur qui veut approfondir ses connaissances », avance la conservatrice Lisa Smit. Au lieu d’accentuer la dimension sensationnaliste de Van Gogh, qui contribue largement à sa popularité, le musée ose déconstruire les mythes qui gravitent autour de lui. Son tout nouveau parcours permanent est à ce titre remarquable. Il s’ouvre sur un exceptionnel face-à-face avec l’artiste à travers une dizaine d’autoportraits, puis raconte la construction de son style inimitable : ses méthodes de travail et ses diverses influences. Plus clair et spacieux, il montre davantage de dessins et de lettres et s’appuie aussi sur des dispositifs multimédias qui dévoilent, entre autres, les activités scientifiques de l’institution. Outre cet accrochage inédit, 2015 est marquée par l’inauguration d’une nouvelle entrée du bâtiment. Elle permettra de mieux gérer le flux de visiteurs et de connecter l’institution à ses prestigieux voisins, dont le Rijksmuseum. Elle ouvrira en septembre pour l’exposition événement « Munch : Van Gogh » (du 24 septembre 2015 au 17 janvier 2016). Une centaine d’œuvres confrontera ces deux monstres sacrés, dans la première manifestation d’envergure dédiée à cette rencontre au sommet… Files d’attente en perspective !
Kröller-Müller, l’autre collection phare
Si le musée amstellodamois est mondialement célèbre, son homologue d’Otterlo est nettement moins connu et attire majoritairement le public néerlandais. Le Kröller-Müller Museum conserve pourtant la deuxième collection au monde d’œuvres de Van Gogh. Plus de 90 peintures et 180 dessins, dont des pièces aussi iconiques que L’Arlésienne ou Terrasse du café le soir. Mais ce trésor a longtemps été un secret bien gardé : « Les visiteurs découvraient l’importance de notre fonds une fois sur place, nous avons dernièrement davantage axé notre stratégie de communication sur Van Gogh et notre fréquentation a augmenté », résume Wanda Vermeulen, responsable de la communication. En 2014, le musée a enregistré une hausse de 16 % et a franchi le cap des 391 000 visiteurs. Un chiffre honorable compte tenu de son emplacement sublime (le parc national De Hoge Veluwe), mais assez excentré. En 2015, le musée focalise encore plus l’attention sur sa collection. Pour la première fois, il présente une exposition temporaire conçue exclusivement à partir de pièces conservées dans ses murs. Jusqu’au 27 septembre, « Van Gogh & Co » met en résonance cinquante œuvres de la star avec autant de créations de ses prédécesseurs, contemporains et disciples. Autour de quatre genres chers à Vincent, elle montre des analogies et des influences croisées avec Fantin-Latour, Monticelli, Signac ou encore Bart van der Leck.
Le Brabant, patrie revendiquée de Van Gogh
Hormis ses magnifiques collections, la Hollande possède un autre atout patrimonial jusqu’ici peu valorisé : les sites historiques liés à Van Gogh. Les principaux lieux répartis dans la province du Brabant-Septentrional sont, depuis 2010, fédérés au sein de la Fondation Van Gogh Brabant. « L’idée première était d’attirer davantage de visiteurs, mais aussi de réunir plus de moyens et d’investissements à long terme pour exploiter ces sites », explique Frank van den Eijnden, président de Van Gogh Europe et directeur de Van Gogh Brabant. « Nous collaborons avec de nombreux partenaires, dont le Van Gogh Museum pour le volet scientifique afin de faire progresser la recherche sur ces lieux. » La fondation a choisi un slogan pour le moins accrocheur : « La patrie de Vincent ». Il est vrai que ce territoire peut se targuer d’abriter Zundert son village natal, la salle de classe de Tilburg où il reçut ses premiers cours de dessin, mais aussi différents édifices à Etten-Leur où il perfectionna son art. Sans oublier le plus pittoresque : le village de Nuenen où il réalisa un quart de toute sa production ! Ce bourg, qui a subi peu de transformations urbanistiques, permet de suivre les traces du peintre. L’itinéraire compte notamment 14 lieux immortalisés par Van Gogh de 1883 à 1885, dont l’église de son père. Les différentes localités, reliées par un circuit cyclotouristique, tentent de pallier l’absence d’œuvres par des centres d’interprétation et une nuée d’initiatives pédagogiques et culturelles. L’impact du réseau est déjà sensible, le nombre de visiteurs est en hausse et les sites sont dorénavant sollicités par des tour-opérateurs internationaux. Plusieurs lieux ont par ailleurs ouvert leurs portes, comme le Vincentre à Nuenen en 2010. Ce centre d’interprétation accorde une large place à son premier chef-d’œuvre, Les Mangeurs de pommes de terre. Il éclaire aussi un pan peu connu de sa carrière, son compagnonnage avec des artistes locaux. Depuis avril, le village s’est également doté d’un centre d’art sis à Nune Ville, l’ancienne demeure de son grand amour Margot Begemann. Enfin, le moulin à eau de Coll qui l’a tant inspiré a été récemment transformé en un restaurant extrêmement populaire.
La ville de Den Bosch, quant à elle, ne possède pas de site lié à Vincent, mais dispose de la seule collection d’œuvres du peintre visible dans la province. Fort logiquement, le Musée du Brabant-Septentrional a donc consacré toute sa saison 2015 à Van Gogh. La petite collection, constituée massivement de prêts de longue durée, a fait l’objet d’un nouvel accrochage, et l’institution organise quatre expositions traitant de son œuvre et surtout de ses échos modernes. Cet automne, une exposition mettra ainsi en valeur la production brabançonne de Van Gogh grâce à d’importants prêts publics et privés. Pour l’heure, le musée accueille une sélection de pièces de la fameuse collection Würth avec un focus sur les grands formats de David Hockney, hommages directs à Van Gogh. Une telle manifestation aurait été impensable auparavant. « Depuis la création du réseau, il est plus aisé d’organiser des événements ambitieux », estime Fiona Zachariasse, conservatrice au musée. « Cette stratégie de marketing culturel nous confère plus de visibilité à l’international, de crédibilité et davantage de soutien des investisseurs et pouvoirs locaux. » Le musée mise fortement sur le succès de cette année Van Gogh et prépare déjà une exposition sur l’œuvre graphique du peintre en 2018. Entre-temps, la ville de Den Bosch concocte pour 2016 une année en l’honneur d’un autre enfant du pays : Jérôme Bosch. Le 500e anniversaire de sa mort sera célébré par une exposition internationale, mais aussi toutes sortes de festivités populaires comme des parades costumées sur les canaux.
Pragmatisme et approche décomplexée du patrimoine
Nos amis bataves sont effectivement passés maîtres dans ces grands-messes touristiques. Les anniversaires d’artistes sont prétextes à des programmations hors normes dans leur ampleur, mais surtout dans leur aspect ultra-populaire. Le marketing culturel y étant nettement mieux accepté qu’en France. « Quand on met en place une année Van Gogh, notre message c’est : venez chez nous voir Van Gogh, mais profitez-en aussi pour découvrir nos autres musées et sites touristiques », reconnaît Bart Hofstede, conseiller culturel à l’ambassade des Pays-Bas à Paris. De fait, et de manière totalement décomplexée, tous les leviers touristiques sont actionnés, qui plus est avec le soutien des musées. Jusqu’au 17 mai, le Keukenhof, parc floral très populaire, présente ainsi un spectaculaire portrait de Van Gogh de 250 m2 composé de dizaines de milliers de tulipes. Cette initiative est le fruit d’une collaboration, notamment avec le Kröller-Müller Museum qui participe aussi au programme « Le goût de Van Gogh », qui rassemble des restaurants proposant des menus inspirés des tableaux. Enfin, si le pays est synonyme des fleurs et du gouda, il est aussi inséparable du vélo. Outre les nombreux itinéraires cyclotouristiques, l’anniversaire a aussi donné naissance à une création originale : la piste cyclable de Daan Roosegaarde. Librement inspirée de La Nuit étoilée, elle s’illumine à la tombée de la nuit à Eindhoven. Mais la Van Goghmania ne s’arrête pas là : street art, festival de mode, de danse et même la fête des roux, tous ces événements entendent montrer l’influence toujours vivace de l’artiste. Enfin, les spectateurs pourront même assister à la première d’une comédie musicale inspirée de sa vie. L’ambition d’un tel arsenal est de toucher le public le plus large possible. « Van Gogh est une marque exceptionnelle », reconnaît Frank van der Eijnden. « Depuis plusieurs années, nous connaissons des baisses budgétaires et ce type d’événements permet d’attirer un vaste public et de générer plus de ressources que nous pouvons ensuite investir dans des projets artistiques et scientifiques ».
Une ample campagne de promotion et de marketing destinée à l’étranger a été mise en place avec le soutien d’organismes gouvernementaux, mais aussi des grandes compagnies de transport. Les Pays-Bas visent 180 000 visiteurs supplémentaires et 15 millions d’euros de recettes. Symboliquement, l’enjeu est aussi de faire de Van Gogh le peintre le plus célèbre au monde alors que Picasso demeure l’artiste le plus populaire sur Internet, talonné de près par : Van Gogh.
Commissaires : Magne Bruteig et Maite van Dijk.
Du 9 mai au 6 septembre 2015. Munch Museum à Oslo (Norvège). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 16 h, le jeudi jusqu’à 19 h. Tarif : 13,90 €. www.munchmuseet.no
Du 24 septembre au 17 janvier 2016 au Musée Van Gogh à Amsterdam (Pays-Bas). Ouvert tous les jours de 9 h à 18 h, le vendredi jusqu’à 22 h. Tarif : 17 €. www.vangoghmuseum.nl
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Van Gogh : étendard de marque !
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Abonnez-vous dès 1 €Du 25 avril au 27 septembre 2015. Musée Kröller-Müller à Otterlo (Pays-Bas). Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17 h. Tarifs : 17,60 et 13,20 €. www.kmm.n
« Dessins de Van Gogh : influences et innovations »
Du 12 juin au 20 septembre 2015. Fondation Vincent Van Gogh à Arles (13). Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h. Tarifs : 9 et 7 €. Commissaire : Sjraar van Heugten.
www.fondation-vincentvangogh-arles.org
« Un siècle de regards sur les Alpilles »
Jusqu’au 24 mai 2015. Musée Estrine, 8, rue Estrine, Saint Rémy de Provence (13). Tous les jours sauf le lundi. Tarifs : 5 et 7 €.
musee-estrine.fr
« Van Gogh au Borinage, la naissance d’un artiste »
Jusqu’au 17 mai 2015. Musée des beaux-arts de Mons (Belgique). Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 15 et 12 €. Commissaire : Sjraar Van Heugten.
www.bam.mons.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Van Gogh : étendard de marque !