Le musée Jacquemart-André, à Paris, propose la première exposition monographique sur Van Dyck (1599-1641) jamais organisée en France. Un peintre d’histoire qui acquit la célébrité à la cour d’Angleterre grâce à son talent de portraitiste.
Son Autoportrait (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), donne le ton. Vêtu en habit luxueux, le jeune homme y est figuré de trois quarts, arborant une désinvolture manifeste, cette sprezzatura du gentilhomme italien telle que la décrivit Baltassare Castiglione dans son Livre du courtisan (1528). S’inspirant des compositions de Titien, Antoon van Dyck (1599-1641) s’éloigne ici du stéréotype de l’autoportrait de l’artiste en être tourmenté. Au contraire, le jeune homme y apparaît comme quelqu’un de sûr de lui et de son art. Mais Van Dyck peut en effet avoir foi en l’avenir…
Plus qu’un matre, Rubens devient un mentor
Âgé d’une vingtaine d’années lorsqu’il peint cette toile, il exerce déjà le métier en son nom après avoir été le premier assistant du maître de la peinture anversoise, Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Une précocité parfaitement illustrée dans cette exposition : toutes les peintures de la première salle ont en effet été produites alors que l’artiste avait seulement entre 18 et 20 ans.
Issu d’une famille bourgeoise de marchands drapiers d’Anvers, le jeune garçon va connaître une carrière fulgurante. Entré à dix ans en apprentissage chez Hendrick van Balen, peintre qui forma également Franz Snyders (1579-1657), il s’émancipe dès 1618 en s’inscrivant à la corporation des peintres de Saint-Luc, ce qui signifie qu’il peut désormais recevoir des commandes personnelles. C’est alors que Van Dyck devient le premier assistant de Rubens, chez qui il côtoie également Jacob Jordaens (1593-1678) qui fera lui aussi une brillante carrière.
« Quand Van Dyck entre chez Rubens, il n’a déjà plus rien à apprendre du point de vue de la technique », rappelle Alexis Merle du Bourg, l’un des commissaires de cette exposition. À défaut d’être son maître, Rubens va donc plutôt devenir son mentor. C’est lui qui, notamment, lui transmet cette volonté de conquérir un statut social auquel peu d’artistes accèdent au xviie siècle, prônant une manière de vivre, celle du peintre gentilhomme ou pittore cavalieresco. Même celle-ci est indissociable de la réussite artistique… et financière.
Le Portrait de famille (Saint-Pétersbourg, Musée national de l’Ermitage), l’un des premiers portraits autographes de Van Dyck, est ainsi la parfaite illustration de son désir d’innover en bouleversant les conventions. Inscrit dans la tradition flamande du portrait de groupe, le tableau tranche en effet par l’affect nouveau conféré aux personnages, pourtant vêtus strictement. La formule est promise au succès.
Après l’Italie et Gênes, retour à Anvers
Mais à Anvers, il y a peu de place pour un autre peintre que Rubens, dont l’atelier tourne à plein régime. Van Dyck décide alors de tenter sa chance à l’étranger. Un premier séjour anglais, en 1621, s’avère peu fructueux. Le peintre y exécute pourtant un remarquable portrait de l’un de ses protecteurs, Thomas Howard, comte d’Arundel (1585-1646) (Los Angeles (Malibu, The Getty Museum), tableau qui le situe déjà comme un émule de Titien (1490-1576).
Le Flamand entame ensuite un long séjour dans la péninsule italienne, où il demeure jusqu’en 1627. Là, il visite tous les grands foyers artistiques, Venise, Rome, Florence… et noircit des carnets entiers de croquis, dont un consacré exclusivement au seul Titien. Comme Rubens une quinzaine d’années plutôt, Van Dyck se fixe ensuite à Gênes, où il devient le portraitiste favori de l’aristocratie locale. Ses images confirment alors la tendance perçue avec le portrait d’Arundel. L’influence du coloris vénitien et le goût du luxe de ses commanditaires l’amènent en effet à livrer de somptueuses compositions, dans lesquelles les figures s’animent grâce à de grandes obliques alors que leurs traits sont encore fortement idéalisés.
Certaines œuvres sont parfois plus déconcertantes. Ainsi de L’abbé Cesar Alessandro Scaglia (1592-1641) adorant la Vierge à l’Enfant (Londres, National Gallery), combinaison inédite entre une scène religieuse et un portrait de groupe – ou de famille ?
En 1627, Van Dyck s’installe de nouveau à Anvers. Le Portrait de Peeter Stevens (La Haye, Musée royal des peintures Mauritshuis) témoigne de ce retour aux rigueurs flamandes bourgeoises, où la réserve est de mise. Cependant, le peintre arrive parfois à s’en défaire. Ainsi du Portrait de Lucas et Cornelis de Wael (Rome, Pinacoteca Capitolina) où les deux hommes adoptent la sprezzatura.
Peu après, le peintre publie un recueil de gravures qui lui assure la notoriété. L’iconographie, dont plusieurs travaux préparatoires sont exposés dans le cabinet des dessins de l’exposition, regroupe quatre-vingts gravures des hommes les plus illustres de son temps, dont de nombreux artistes contemporains, tels que Pieter Brueghel le Jeune ou Orazio Gentilleschi. Pour Alexis Merle du Bourg, ce recueil est symptomatique de l’attitude de Van Dyck. « Il y dépeint les artistes en les élevant au-dessus de leur condition sociale véritable, explique le commissaire, inscrivant ainsi ses collègues dans l’aristocratie du mérite. » Au xviie siècle, la pratique d’un métier manuel, même artistique, était en effet le signe d’un statut social inférieur. Ce succès ne semble pourtant guère lui suffire.
La reconnaissance vient par la cour d’Angleterre
Comme de nombreux Flamands, Van Dyck cède alors aux sirènes de la cour d’Angleterre. En avril 1632, il arrive à Londres où il obtient rapidement une pension du roi et un titre de noblesse. Entrecoupée de quelques séjours en Flandres, cette période anglaise va être l’une des plus prolifiques. Plus de quatre cents tableaux auraient ainsi été peints durant ce séjour, grâce à un atelier solidement constitué.
Si tous ne se valent pas, certains sont de véritables chefs-d’œuvre. Ainsi des grandes images de Charles Ier roi d’Angleterre, qui inscrivent explicitement Van Dyck dans la lignée de Titien et de ses portraits de Charles Quint. Faute de place dans les salles exiguës du petit musée parisien, ces toiles conservées au Louvre n’ont pas été présentées dans l’exposition. Mais un dessin du roi à la pierre noire, Étude pour un portrait de Charles Ier (Amsterdam, Rijksmuseum, Rijksprentenkabinet) – que le commissaire réintègre pour la première fois dans le corpus du peintre – évoque ce pan de sa production, tout comme cette étonnante esquisse des enfants de la famille royale (Portrait des princesses Elizabeth et Anne, Édimbourg, Scottish National Portrait Gallery).
Van Dyck reçoit aussi de nombreuses commandes de la bonne société anglaise, autant de clients qui apprécient sa « manière néovénitienne coloriste » qui tranche avec l’austérité de la pratique de ses nombreux compatriotes, également actifs à Londres. Comment expliquer un tel succès ? « Van Dyck parvient à entrer en empathie avec ses modèles, souligne Alexis Merle du Bourg, ce qui lui permet de rendre passionnantes certaines physionomies, et ce parfois avec très peu, comme un simple regard oblique. » Les figures impassibles de la noblesse anglaise s’inscrivent désormais sur des fonds de paysages verdoyants.
Sa manière aura une très grande influence sur la nouvelle génération de peintres anglais qui émerge au siècle suivant, notamment Thomas Gainsborough (1727-1788) et Joshua Reynolds (1723-1792). Après un séjour à Paris où le peintre tente sa chance sans succès, il rentre en Angleterre où il meurt d’une maladie, un an à peine après Rubens. Van Dyck, qui aura ouvert de nouvelles perspectives à la peinture anglaise, sera inhumé dans le chœur de la cathédrale Saint-Paul, privilège rarement accordé à un artiste.
1599 : naissance à Anvers.
1610 : travaille auprès de Rubens.
1620 : se rend en Angleterre à l’appel du roi James 1er.
1621-1627 : en Italie, où il étudie les maîtres de la Renaissance, Van Dyck débute sa carrière de portraitiste.
1632 : s’installe à Londres et devient peintre de cour. Réalise de nombreux portraits de Charles 1er et de sa famille.
1641 : meurt à Londres.
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Van Dyck, la France reconnaît enfin son talent de portraitriste
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Van Dyck » jusqu’au 25 janvier 2009. Musée Jacquemart André, 158, bd Haussmann. Tous les jours de 10 h à 18 h. Tarifs : 7 et 10 euros. www.musee-jacquemart-andre.com
Rubens en Belgique. Anvers rend hommage cet automne au maître et rival de Van Dyck : Rubens. La maison du peintre rouvre ses portes après rénovation de son intérieur afin de restituer le cadre de vie et de travail de l’artiste. De son côté, la maison Rockox (www.rockoxhuis.be) expose le célèbre tableau Samson et Dalida de la National Gallery de Londres à l’endroit exact où Rubens l’a peint. Enfin, à partir du 1er décembre au Musée des beaux-arts (www.kmska.be), « Rubens dévoilé » présentera pour la première fois les résultats de la recherche scientifique en cours menée par le musée sur l’art du peintre (L’œil n°595).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°607 du 1 novembre 2008, avec le titre suivant : Van Dyck, la France reconnaît enfin son talent de portraitriste