À partir du 15 mai, pas moins de six expositions vont permettre de découvrir l’œuvre de Anton Van Dyck, portraitiste élégant et inspiré, le plus anglais des Anversois. Il a peint les puissants et les grands de son époque, à Anvers, à Gênes ou à Londres. Très marqué par Rubens, il dut inventer un style neuf.
Les grandes collections américaines du XXe siècle ont beaucoup aimé Van Dyck : ses tableaux, et tout particulièrement ses portraits, ont figuré chez J. Paul Getty, Benjamin Altman, Andrew Mellon ou Samuel Kress comme autant de portraits d’ancêtres imaginaires. On retrouve aujourd’hui ses élégantes silhouettes aristocratiques à Los Angeles, New York ou Washington, comme si les grands amateurs américains avaient eu à cœur de s’approprier le peintre des anciennes familles britanniques, ou mieux encore, s’étaient reconnus dans cet immigré des Provinces unies qui s’était imposé, de force, au vieux monde. Van Dyck a représenté les familles patriciennes d’Amsterdam d’abord, puis de Gênes ou de Londres, avec une fougue, un élan inventif, une légèreté qui renouvelèrent, pour deux siècles au moins, l’art du portrait – et dont se font encore l’écho, au XVIIIe siècle, Reynolds ou Gainsborough. Cette facilité, cet insolent bonheur de peindre méritait une expiation exemplaire dont la postérité se chargea.
L’incarnation parfaite de l’artiste-gentilhomme
Parvenu par la seule force de ses dons, il était, à sa mort, à l’âge de 40 ans, l’incarnation parfaite de l’artiste-gentilhomme, coqueluche de toutes les cours d’Europe. C’est ainsi qu’il devait s’inscrire, la barbe bien taillée, feutre noir rabattu sur le front, une chaîne d’or au cou, dans la légende dorée des peintres. La juste appréciation de son talent en souffre encore. Van Dyck ? « Absolutely snobbish », dit de lui sa plus récente historienne, Katlijne van der Stighelen (Van Dyck, Gallimard, 1999), citant un mot de l’époque. L’historien d’art italien Giovanni Pietro Bellori, en 1672, stigmatise son arrogance dans le milieu des artistes flamands de Rome. C’est Eugène Fromentin, au XIXe siècle, qui a laissé de l’élégant et subtil Van Dyck une description psychologique définitive, qui peut faire penser à quelque précurseur d’Eugène Delacroix : « Un jeune prince de race royale, ayant tout pour lui, beauté, élégance, dons magnifiques, génie précoce, éducation unique [...], ayant fait abus de tout, de ses séductions, de sa santé, de sa dignité, de son talent ; écrasé de besoins, usé de plaisirs, épuisé de ressources [...]. » S’imposait ainsi pour la postérité l’image d’un dandy comblé, Don Juan exténué qui ne parvint jamais à s’imposer au premier rang, écrasé par la dominante figure de son maître Rubens, sa statue du commandeur. En grattant cette image qui lui va fort bien, les expositions d’Anvers restituent à l’artiste toutes ses nuances et ses contradictions.
Novateur sans rupture ni scandale
Né en 1599, Van Dyck connut la malédiction des héritiers et semblait porter sur ses épaules, un peu comme la génération d’artistes maniéristes qui s’imposa après la mort de Michel Ange, tout le poids de l’époque précédente. Fromentin toujours, le compare à « un prince de Galles mort aussitôt après la vacance du trône, et qui de toute façon ne devait pas règner ». Son Autoportrait au tournesol, popularisé par la gravure de Wenceslaus Hollar, a fixé l’image d’un homme qui se tourne, lui aussi, toujours vers le soleil, vers les souverains et les puissants, un peintre qui, dans son art, ne s’orienta qu’en fonction de la position de l’astre Rubens. La vaste entreprise iconographique entamée en 1634 par Van Dyck, qui visait à laisser des portraits gravés des grands hommes et des grands artistes du passé ainsi que des contemporains illustres, témoigne de même de cette obsession testamentaire, de cette volonté historiographique : Van Dyck veut tracer le bilan d’un âge révolu, rénover l’art en rendant hommage à ses pairs. Il sait ce qu’il doit au pinceau fougueux, à la touche virtuose de Frans Hals, à la palette du Titien, dont il admirait les œuvres au point que sa demeure anversoise ressemblait à un musée consacré au Vénitien.
Van Dyck est un jeune homme qui ne regarde que le passé. Dès son premier autoportrait, à 14 ans, il semble jeter un regard en arrière. Scène émouvante et symbolique : en 1624, il est en Sicile, visite Palerme et se rend ensuite chez une vieille dame de 96 ans, Sofonisba Anguissola, vivant spectre de la Renaissance. Elle est peintre, l’une des rares de son époque. Elle a su autrefois animer des portraits avec les artifices réservés d’ordinaire aux scènes de genre. Aveugle, elle raconte le siècle passé à cet artiste voyageur d’à peine plus de 20 ans. Anton Van Dyck a été admis maître par la guilde de Saint-Luc d’Anvers quelques années plus tôt, à 19 ans : plus jeune que Rubens, à la génération précédente, qui avait été autorisé à exercer à 21 ans. Le jeune prodige est probablement déjà à la tête d’un petit atelier. En 1617, il a reçu la commande d’une série de tableaux pour l’église Saint-Paul d’Anvers avec deux autres artistes qui ne sont autres que Rubens lui-même et Jacob Jordaens. Sofonisba lui demande de la dessiner en estompant les rides de son visage. Une émouvante feuille esquissée à ce moment témoigne de ce dialogue entre deux siècles. C’est cette déférence de jeune homme bien élevé, cette pieuse attention à ses aînés qui explique sans doute pourquoi Van Dyck fut si bien accueilli partout. Notre époque, qui n’aime que les peintres maudits, se condamne à préférer sans discussions les Tournesols de Van Gogh. Ce que démontre l’exposition, c’est pourtant que cet amoureux du passé fut un prodigieux novateur, sans rupture, sans scandale, en demeurant au sommet de la vogue, sans cesse submergé par les commandes qu’il ne pouvait satisfaire.
Le Portrait de Thomas Howard, second comte d’Arundel, exécuté en 1621, lors du premier et bref séjour du peintre en Angleterre, peut en ce sens prendre valeur de symbole : Thomas Howard, comte d’Arundel, a 35 ans et incarne l’intelligence, le raffinement et l’élégance de cette cour des Stuart que le jeune Anversois vient de découvrir. Collectionneur passionné, notamment d’œuvres de Hans Holbein, ami des arts, Howard pose sans ornements, ni signes de luxe inutiles pour ce grand portrait où dominent les rouges et les noirs. Ses mains, empreintes de cette négligence aristocratique qui signalait le parfait courtisan, mettent en valeur l’ordre de la Jarretière avec lequel il semble jouer sans y penser. La pose est classique, mais le mouvement des mains, l’acuité de l’œil, démontrent la force du jeune talent : un tel portrait, avec le paysage de l’arrière-plan peint de manière très libre, comme inachevé, bouleversait de l’intérieur les conventions de l’époque. Le portrait, selon Van Dyck, saisit le modèle ad vivum, sur le vif. De retour à Anvers et durant son périple italien, Van Dyck ne devait cesser de penser à la cour d’Angleterre. Il y revint en 1632, invité par le roi Charles Ier qui avait acheté, en 1629, Renaud et Armide – composition ambitieuse qui démontrait que Van Dyck n’était pas uniquement un maître du portrait. Peintre ordinaire du souverain, somptueusement logé dans une maison commandée exprès au grand architecte Inigo Jones, il possédait, selon Bellori, « des serviteurs, des carrosses, des chevaux, des instrumentistes, des musiciens et des bouffons et [...] il recevait tous les plus importants personnages, chevaliers et dames, qui venaient quotidiennement faire faire leur portrait dans sa maison. » Le chef-d’œuvre de cette époque est le Portrait de Charles Ier à la chasse, icône de ce roi galant homme que la révolution de Cromwell devait décapiter en 1649. Un tableau dont la petite histoire a retenu que Louis XVI, bien inspiré, l’avait fait accrocher dans ses appartements des Tuileries après les journées d’octobre.
Célèbre pour son libertinage
Van Dyck, en Angleterre, devient célèbre pour son libertinage, malgré une maîtresse officielle tapageuse, Margaret Lemon, que le dessinateur Hollar qualifie de « demon of jealousy ». Elle pose beaucoup pour lui et l’on reconnaît ses traits en Psyché ou en Andromède, sous les voiles prêts à tomber de la Pudicitia. Pour Van Dyck le portrait peut souvent prendre l’apparence du déguisement mythologique : James Stuart devient Pâris, Lady Digby la Prudence, le quatrième Lord Wharton un berger d’Arcadie... Cette période est extrêmement productive : plus de 400 tableaux, en majorité des portraits, dont l’exécution est rendue possible grâce à un atelier aussi efficace que celui de Rubens. Van Dyck souligne chez ses modèles la finesse des mains, allant jusqu’à prolonger celles-ci par des gants à demi ôtés, comme dans le Portrait de Lady Anne Carr, comtesse de Bedford. La richesse des étoffes, la noblesse des poses ne souffrent aucun défaut. Cette société qui atteignait, dans le miroir que lui tendait le fils de commerçant d’Anvers, le sommet de la distinction, devait disparaître peu de temps après. Van Dyck ne sut pas qu’il en était l’un des ultimes témoins. En 1640-1641, une seconde vie semble commencer : auréolé de sa gloire, il gagne Paris où il espère obtenir la commande du décor de la grande Galerie du Louvre. Pour le portraitiste, c’est l’occasion unique de prouver que son talent peut se développer encore, dans le grand genre cette fois. C’est le combat avec Rubens, qui avait tant peint pour Marie de Médicis, le maître qui vient de mourir, qui se prolonge. L’enjeu cette fois, concerne le jugement de la postérité, puisque Van Dyck a déjà obtenu tous les honneurs et toutes les reconnaissances dont il pouvait rêver. Être admis comme le meilleur artiste dans le grand genre historique par la cour du roi de France serait la consécration suprême. Malade, Van Dyck retourne en Angleterre, puis s’acharne et revient à Paris, souhaitant témoigner à Louis XIII et à Richelieu « la forte passion qu’il a de faire quelque chose qui leur soit agréable ». La commande de la galerie échoit à Poussin. Blessé, amer pour la première fois de sa vie, le peintre revient en Angleterre. Trois jours après la naissance de sa fille Justiniana, il s’éteint prématurément le 4 décembre 1641.
Montée par Christopher Brown, directeur de l’Ashmolean Museum d’Oxford, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Van Dyck, la rétrospective du Museum voor Schone Kunsten est le point fort de cette opération Van Dyck 1999. Cependant tous les musées anversois sont de la partie. À voir absolument : les vingt-neuf paysages dessinés par l’artiste et installés au milieu d’une trentaine d’œuvres sur papier de ses contemporains dans la maison de Rubens, les gravures qui envahissent l’étonnant Museum Plantin-Moretus qui vaut à lui seul le voyage à Anvers, l’aiguière de Rubens présentée avec quantité de coupes, gobelets à moulin et argenteries nuptiales au Provinciaal Museum Sterckshof. Enfin, l’Hessenhuis analyse la récupération romantique de l’image de Van Dyck devenu le modèle du peintre flamand, tandis que la Fabiolazaal montre les avatars du portrait officiel jusqu’aux pervers reportages des modernes paparazzi.
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Van Dyck ou le portrait souverain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°506 du 1 mai 1999, avec le titre suivant : Van Dyck ou le portrait souverain