Le Musée Fabre consacre une partie des espaces de l’hôtel Sabatier d’Espeyran au travail de la sculptrice et céramiste disparue en 2021.
Montpellier. Valentine Schlegel (1925-2021) revient au Musée Fabre qu’elle fréquenta, entre 1942 et 1945, en tant qu’élève des Beaux-Arts de Montpellier, quand l’école était installée dans des bâtiments aujourd’hui affectés à l’institution muséale. Détail savoureux : l’étudiante originaire de Sète, remarquée pour ses dons et la qualité de son travail, avait une nette tendance à sécher les cours d’histoire de la céramique. Reste que c’est bien en modelant la terre, davantage qu’en dessinant, que Valentine Schlegel a découvert son talent à inventer des formes.
Passé un préambule qui rappelle ses années avignonnaises au moment de la création du festival de théâtre – sa sœur Andrée était l’épouse de Jean Vilar –, la première salle rassemble sept vases emblématiques de son travail, dont le splendide Les Trois Ours (1955), aux formes pleines et élancées. Toute en camaïeux de bleu, de grès et de gris, la palette tend vers le naturel, quand les courbes organiques évoquent autant la flore subaquatique que le travail de Jean Arp ou les pots des tableaux de Georges Braque. Le succès immédiat de ces « sculptures à vivre », comme elle les appelait, s’inscrit dans une époque de renouvellement de la céramique et y restera cantonné. Une des photographies d’Agnès Varda, amie de longue date qui documenta les débuts de Valentine Schlegel, montre quelques-uns de ces vases ornés de fleurs à longues tiges piquées dans leur encolure. Bien que la plasticienne se plût à dire qu’ils pouvaient se passer de bouquets, on aurait aimé que ses vases soient présentés ici comme des ornements du quotidien, plutôt que sous des protections vitrées. L’exposition offre à la fin du parcours une mise en scène de quelques poteries et couverts en bois disposés sur une table, à la façon d’une nature morte, témoignant de ce génie particulier qu’avait la créatrice à mêler l’art de vivre et l’art tout court.
La consécration, pour Valentine Schlegel, viendra de ses extraordinaires cheminées, qu’elle réalise à partir des années 1970. Mais elle sera tardive – on prit la mesure de ce corpus peu avant sa mort, grâce à l’entremise de l’artiste Hélène Bertin. À l’origine, c’est pour créer un environnement en harmonie avec un pot que lui avaient acheté des amis que Valentine Schlegel leur offrit de dessiner une cheminée en remplacement de la leur. Pureté des lignes, blancheur immaculée, ingéniosité d’un dessin qui aménage dans les drapés du manteau en plâtre des étagères et des vide-poches, Valentine Schlegel parvint, à travers une démarche essentiellement artisanale, à une modernité absolue, remarque Florence Hudowicz, conservatrice au Musée Fabre et commissaire scientifique de l’exposition. Une douzaine de maquettes et quelques photos permettent d’apprécier la beauté et l’originalité de chacune de ces créations, toutes uniques. Valentine Schlegel en aurait, en tout, conçu une centaine, dont l’inventaire reste à venir. Celle qu’elle fit pour l’appartement de la comédienne Jeanne Moreau fut détruite avec l’immeuble…
Après celle du Centre d’art de Brétigny sur Orge et du Centre d’art régional contemporain (CRAC) à Sète, cette exposition, modeste par sa taille, a le mérite de continuer à faire vivre l’œuvre de l’artiste, en attendant d’autres événements, comme la restauration annoncée de sa maison, rue Bézout, dans le 14e arrondissement de Paris, par un collectionneur qui devrait en ouvrir l’accès au public.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : Valentine Schlegel, artiste du quotidien