Roland Petit est l’un des grands créateurs du xxe siècle qui peut faire sienne cette phrase de Gide : « Tout artiste n’a pas seulement à sa disposition sa propre intelligence, mais aussi celle de ses amis. »
Dès mon plus jeune âge, je dansais. À neuf ans, je persuadai mon père de me présenter à l’Opéra, espérant être sélectionné. On m’engagea, pour me prendre à l’essai, c’était parti, je serai danseur plus rien ne m’arrêterait », se souvient Roland Petit qui arpentera les moindres recoins du Palais Garnier, y compris ses toits explorés en patins à roulettes ! On est alors en 1933. Cette année-là, il sympathise avec une petite danseuse surnommée Zizi sans se douter « qu’une vie à deux n’en faisant qu’une » les attend.
Ensemble, ils gravissent les marches du Palais Garnier, et intègrent en 1940 le corps de ballet. Mais, épris d’indépendance et de liberté, Roland Petit rêve de faire le tour du monde avec ses chorégraphies et son inspiratrice. Alors, dès l’âge de vingt ans, il quitte « la maison » pour se consacrer à ses créations et à la recherche d’artistes d’exception, de Cocteau à Dutilleux, de Prévert à Yves Saint Laurent, de Jean Anouilh à Jean Michel Wilmotte. Pour lui chaque spectacle se veut « une création totale : danse, décors, costumes, partition ».
Carmen consacre le couple
Il n’a de cesse d’enrichir son univers de nouvelles formes d’expressions sans craindre de mélanger les genres. « Tout au long de sa carrière, il privilégie les rencontres avec des artistes tels Pablo Picasso, Max Ernst, Giogio De Chirico, André Derain, Paul Delvaux, Niki de Saint-Phalle, Jean Tinguely, David Hockney », évoque Brigitte Lefèvre, directrice du ballet de l’Opéra de Paris.
Dès 1945, Roland Petit crée Les Ballets des Champs-Élysées, une troupe dont fait partie mademoiselle Jeanmaire. Ses œuvres Les Forains, Le Rendez-vous, Le Jeune Homme et la Mort, participent à la notoriété rapide de la jeune compagnie. Il fonde ensuite les Ballets de Paris, et dès 1949, sa version de Carmen est une vraie révélation qui consacre les talents du couple, lui comme chorégraphe, elle comme interprète.
« À Londres le public faisait la queue toute la nuit pour être sûr d’avoir des places le lendemain », se remémore cet artiste atypique. Appréciés outre-Atlantique, les Ballets de Paris sont engagés à Hollywood où le duo star se lance dans le septième art.
Puis Zizi s’affiche à Broadway pour The Girl in Pink Tights pendant que Roland Petit travaille avec Orson Welles au ballet The Lady in the Ice. Mais c’est à Paris qu’en 1954 le Pygmalion épouse son étoile. Elle danse, chante, dans les revues créées par son mentor et fait sensation avec Mon truc en plumes à l’Alhambra en 1961. Après avoir sillonné le globe, les deux complices montent la revue Zizi Jeanmaire au TNP.
Du lyrique au music-hall
Le chorégraphe désormais internationalement reconnu, est alors sollicité par « le divin théâtre » de son enfance. À Garnier, il offre en 1965 Notre-Dame de Paris à laquelle collabore une équipe artistique exceptionnelle avec Yves Saint Laurent pour les costumes (dont celui de Phoebus inspiré de Mondrian, voir p. 71), Maurice Jarre pour la partition musicale et les rôles principaux confiés notamment à Claire Motte, Cyril Atanassoff. Ce sera le début d’une longue série de ballets, un patrimoine dont s’empare la fine fleur des nouvelles étoiles et des jeunes danseurs. Si Roland Petit, promu Grand Sujet, entretient des liens étroits avec l’Opéra de Paris, au point que Brigitte Lefèvre, dit qu’il est « ici chez lui » et que « ses œuvres percutantes, poétiques, théâtrales sont indispensables à la vie artistique du Ballet de l’Opéra », ses chorégraphies ont également été jouées sur les plus grandes scènes et par les artistes les plus réputés, tel le Paradis perdu au Royal Ballet de Londres avec Rudolf Noureev ou Extase à la Scala de Milan dans des décors de De Chirico…
Cet électron libre n’a toutefois jamais fait de différence entre art savant et art populaire, abordant avec la même passion les planches des scènes lyriques comme des music-halls, du cinéma comme du petit écran, totalisant plus de deux cents créations chorégraphiques. Deux ans après avoir pris les rênes en 1970 du Casino de Paris avec sa compagne, il accepte la proposition de Gaston Defferre, maire de la cité phocéenne, de fonder le Ballet national de Marseille puis l’École nationale supérieure de danse de Marseille où Zizi Jeanmaire donnera des master-classes. Cette aventure étalée sur un quart de siècle n’empêchera pas l’artiste de revenir maintes fois à l’Opéra, notamment en 1975 pour La Symphonie fantastique de Berlioz.
Depuis son départ de Marseille il y a dix ans, Roland Petit continue de chorégraphier de nouveaux ballets et de remonter ses œuvres à travers le monde. Ainsi en 2001, il est invité à Moscou par le Théâtre du Bolchoï pour créer La Dame de pique. L’an passé l’Opéra de Paris a accueilli son Proust ou les Intermittences du cœur. Scénographie complexe, décors imposants, musiciens solistes de première classe… Gérard Mortier, directeur du lieu, n’a pas lésiné sur les moyens pour rendre hommage à l’enfant prodige.
Présent pour l’inauguration de sa rétrospective, Roland Petit avec sa Terpsichore est déjà reparti promouvoir ses pas de deux aux quatre coins de la planète. Le maître de ballet peut s’estimer comblé.
Informations pratiques. « Roland Petit à l’Opéra de Paris : un patrimoine pour la danse », jusqu’au 21 avril 2008. Opéra Garnier, place de l’Opéra, Paris IXe. Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h et de 10 h à 13 h les jours de représentations. Tarif”‰: 8 euros. www.operadeparis.fr Visiter l’Opéra. À défaut de croiser un quelconque fantôme, les visites de l’Opéra, nourries de détails historiques et d’anecdotes, entraînent le public dans les espaces ouverts du lieu construit par Charles Garnier entre 1860 et 1875 : le grand escalier, les foyers richement décorés, le salon du Glacier, la salle de spectacle ornée de velours rouge et de boiseries recouvertes à la feuille d’or, ainsi que le plafond peint par Chagall en 1964 sont visibles le mercredi, samedi, dimanche à 11 h 30 et à 15 h 30. Réservation conseillée au 08 25 05 44 05.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une vie passée à réunir les artistes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Les archives de l’Opéra, un patrimoine protégé.
Tandis que Charles Garnier installe l’opéra dans un théâtre plus satisfaisant que la salle Le Peletier, le gouvernement du Second Empire se préoccupe de la conservation et du traitement des archives musicales et iconographiques. Pas question de prendre le risque que ce patrimoine puisse être vendu pour combler un éventuel déficit, l’Opéra étant alors géré par un entrepreneur privé. Un service est créé en 1866 pour y veiller, rattaché d’abord au ministère de tutelle, puis en 1935 à la Bibliothèque nationale de France.
Le Centre national du costume
de scène et de la scénographie conserve les décors de spectacles.Inauguré en 2006 à Moulins, le CNCS est la première structure de conservation et de valorisation, en France comme à l’étranger, entièrement consacrée aux costumes de théâtre, d’opéra et de ballet, ainsi qu’aux toiles de décors peints et aux éléments de machinerie. Ses dépôts proviennent des trois institutions fondatrices: BNF, Comédie-Française et Opéra national de Paris.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°601 du 1 avril 2008, avec le titre suivant : Une vie passée à réunir les artistes