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MOYEN ÂGE - XXIE SIÈCLE / EXPOLOGIE

Une Apocalypse trop ordonnée à la BNF

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 6 mars 2025 - 918 mots

PARIS

Malgré une remarquable première partie, et des œuvres exceptionnelles, l’exposition ne parvient pas à faire dialoguer les différentes époques qui composent son parcours.

Apocalypse de Saint-Victor, Normandie, 1er quart du XIVe siècle, manuscrit peint sur parchemin. © BnF, département des Manuscrits
Apocalypse de Saint-Victor, Normandie, 1er quart du XIVe siècle, manuscrit peint sur parchemin.
© BnF, département des Manuscrits

Paris. À l’entrée d’une exposition consacrée à l’Apocalypse, tomber nez à nez avec la scène finale du Melancholia de Lars Von Trier : voilà ce qu’on appelle une introduction in medias res, qui sans détour vous plonge au cœur du sujet. La vision de la destruction de notre planète imaginée par le cinéaste danois est accompagnée dans cette première salle par une page de l’Apocalypse de Valenciennes– IXe siècle, l’une des plus anciennes qui nous soient parvenues – et d’une planche de la bande dessinée La Route, succès d’édition de 2024, adaptée du roman de Cormac McCarthy par Manu Larcenet. Le parcours conçu par la commissaire Jeanne Brun (directrice des collections du Musée national d’art moderne) s’annonce décloisonné, et laisse envisager une approche thématique mêlant les époques.

Ce n’est pourtant pas vraiment ce qui est développé dans la suite de l’exposition, séquencée en trois grands chapitres, qui sous une apparence thématique (« Le livre de la révélation » ; « Le temps des catastrophes » ; « Le jour d’après ») offre en fait un déroulé chronologique très classique, que la scénographie souligne de manière trop évidente : des tons bleus et rosés pour la partie moderne, donnant l’impression d’un petit musée des beaux-arts, un vaste espace blanc pour la partie contemporaine, plongeant le visiteur dans le white cube d’un centre d’art… Le parcours ne présente pas d’identité visuelle et spatiale claire (si l’on excepte la typographie très réussie), et assume une forme de morcellement de son propos. Tentatives timides, les « capsules » jalonnant le parcours offrent quelques focus thématiques et transversaux : superposées au déroulé chronologique, ces dernières apparaissent redondantes, traitant des sujets déjà évoqués dans la première partie.

Les premiers pas dans l’exposition offrent pourtant une belle cohérence, et un effort pédagogique appréciable pour s’approprier le sujet. Après le choc des premières images, diverses références sont à nouveaux convoquées pour présenter l’auteur du texte biblique de L’Apocalypse, Jean de Patmos. Pour évoquer cette figure du « visionnaire », qui reçoit les images de la fin des temps, la Bibliothèque nationale de France (BNF) sort même quelques trésors : La Lettre du voyant d’Arthur Rimbaud (1854-1891), Les Carnets d’Antonin Artaud (1896-1948), présentés aux côtés d’un mur d’yeux saisissant, constitué d’œuvres graphiques.

Ouverte comme un livre, la salle suivante égraine un à un les grandes étapes du récit de l’Apocalypse. Une étape indispensable, tant le texte est à la fois connu de tous à travers quelques éléments incrustés dans la culture collective, tout en restant largement ignoré dans son déroulé et ses détails. La scénographie, qui joue habilement des cimaises pour révéler chacun des épisodes, met en scène principalement des œuvres médiévales dans cette explication de texte, et notamment de précieux fragments de La Tenture de l’Apocalypse d’Angers. Ici, des pièces de petites tailles signées Kiki Smith (née en 1954) et Abdelkader Benchamma (né en 1975) jouent le rôle de ponctuation contemporaine.

Cette séquence se ferme sur un exergue consacré au Beatus de Saint-Sever, chef-d’œuvre manuscrit du XIe siècle conservé par la BNF et auquel la co-commissaire Charlotte Noël a consacré ses recherches. Augmenté par un feuilletage virtuel et des éléments projetés, le manuscrit est ouvert sur la double page représentant l’ouverture des quatre premiers sceaux : une mise en scène multimédia qui permet de saisir l’explosion colorée des manuscrits ibériques illustrant le commentaire de L’Apocalypse par San Beato (né au VIIe siècle).

Albrecht Dürer (1471-1528), L’Apocalypse, planche 5 : Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, édition latine de 1511, gravure sur bois. © BnF, département des Estampes et de la photographie
Albrecht Dürer (1471-1528), L’Apocalypse, planche 5 : Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, édition latine de 1511, gravure sur bois.
© BnF, département des Estampes et de la photographie
L’Apocalypse de la période moderne à nos jours

La partie moderne déploie quant à elle une fantastique succession de grands cycles imprimés : L’Apocalypse de Dürer (1471-1528), Les Désastres de la guerre de Goya (1746-1828), Les Grandes Misères de la guerre de Jacques Callot (1592-1635), L’Apocalypse de Saint-Jean d’Odilon Redon (1840-1916), Les images mystiques de la guerre de Natalia Gontcharova (1881-1962), deux estampes de James Ensor (1860-1949). Si l’on ajoute à cela le prêt exceptionnel d’aquarelles de William Blake (1757-1827), venues du British Museum, cette séquence déploie un trésor d’œuvres graphiques, destinées à une large diffusion lors de leur création. Mais cette importante représentation des gravures dans l’accrochage ne fait l’objet d’aucun commentaire sur la relation existant entre l’estampe et le récit apocalyptique, ou la diffusion de ces thèmes. Le discours introduisant la période moderne est même plutôt déstabilisant, arguant d’un recul des représentations du texte originel au profit de créations évoquant l’apocalypse de manière détournée, à travers la documentation des horreurs de la guerre (Goya, Callot). Le Jugement dernier de Michel-Ange (1475-1564), les grands retables nordiques de Van Eyck (1390-1441), et Van der Weyden (1399-1464), les peintures de Bosch (1450-1516) et Bruegel (1525-1569), ou le Cinquième sceau d’El Greco (1541-1614) sont évacués dans un parcours remontant pourtant le fil de l’histoire, et malgré leur importance dans la sédimentation des images de l’Apocalypse.

De la même manière, la période contemporaine est assignée à la représentation du « Jour d’après », un futur plus ou moins radieux incarné là aussi par une belle sélection d’œuvres (un triptyque en noir et blanc de Benchamma, des tapisseries d’Otobong Nkanga (née en 1974) et de Kiki Smith en clin d’œil au cycle d’Angers. Seul un grand incendie californien représenté par Anne Imhof (née en 1978) vient rappeler que la création contemporaine ne se projette pas seulement dans l’après, mais s’attache également à documenter les signes avant-coureurs du désastre. L’exposition est prise au piège de son découpage chronologique, appliquant une analyse à sens unique pour chaque période, là où un décloisonnement assumé des époques aurait introduit plus de nuances.

Apocalypse, Hier et demain,
jusqu’au 8 juin, BNF, Bibliothèque François-Mitterrand – galeries 1 et 2, quai François-Mauriac, 75706 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : Une Apocalypse trop ordonnée à la BNF

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