Bernard Buffet mis en examen à Paris. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre une exposition courageuse à Bernard Buffet. Le peintre, apprécié du marché dans les années 1960, et boudé par la critique, continue encore aujourd’hui à faire débat. Le musée dirigé par Fabrice Hergott met les pièces « sur table » pour que chacun puisse se faire une opinion en toute connaissance de cause.
PARIS - La majorité des critiques et des historiens de l’art se rendront au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) avec une seule question : à quelle aune peut-on évaluer l’œuvre de Bernard Buffet (1928-1999) ? Difficile de porter un regard neutre, voire « innocent », sur un artiste qui, c’est une litote, ne s’inscrit pas dans le récit de la modernité de la seconde partie du XXe siècle. Il est donc utile de lire l’explication de ce choix dans le généreux catalogue de l’exposition, d’autant que celui-ci ne ménage pas ses efforts pour donner à Buffet la place qui devrait lui revenir, selon les commissaires. L’argumentaire repose sur un premier constat : le MAMVP est l’un des seuls musées publics à posséder une importante collection d’œuvres de cet artiste. Et pour cause, puisqu’il s’agit du legs Girardin (1953, la période la plus glorieuse de Buffet), complété, en 2012, d’une donation par les enfants d’Ida et Maurice Garnier. Cet ensemble en provenance d’un collectionneur et du galeriste attitré et exclusif de l’artiste permet donc cette exposition. Puis, Fabrice Hergott, directeur de l’institution, énonce les autres raisons de cette rétrospective. Selon lui, la tradition du musée est de renouveler le regard et de rompre avec les consensus. Si l’on ne peut lui donner tort, il est difficile de partager son sentiment face aux toiles de Buffet.
Un style qui se rigidifie rapidement
Pourtant, les organisateurs ont vu grand. Toutes les périodes du peintre sont généreusement et élégamment présentées sur les cimaises. À commencer par ses débuts, dénommés ici « L’invention d’un style, 1945-1955 / Une gloire fulgurante », qui s’ouvre sur une toile immense : Déposition de croix (1946). On ne peut qu’être impressionné par l’audace d’un artiste qui, à 18 ans, rend hommage aux maîtres anciens dans ces retrouvailles avec l’iconographie classique. Les références à la Pietà d’Avignon, au Christ souffrant et déformé dans la tradition de la peinture germanique sont évidentes. À l’instar du Job (1944) de Francis Gruber (1912-1948), que Buffet admire et dont il reprend en partie la manière, la scène religieuse ne s’enferme pas dans le passé. L’introduction de personnages contemporains, surtout de l’homme-spectateur qui nous tourne le dos, en fait une Pietà laïque. L’atmosphère misérabiliste de l’après-guerre fait ici son apparition. Cette image inaugure le style de Buffet – contours noirs appuyés, couleurs éteintes et sourdes –, mais l’ensemble garde une certaine souplesse et communique un sentiment d’empathie avec la scène représentée. Puis, rapidement, tout se rigidifie, les formes deviennent dures et géométrisées, les figures stéréotypées. Il suffit de regarder La Crucifixion de 1951, une autre représentation monumentale religieuse où les « acteurs », figés dans des postures « cassées », sont transformés en pantins aux expressions pathétiques. Certaines natures mortes comme Deux tables (1949) étonnent toutefois par leur jeu complexe de l’espace. Ailleurs, Nanse (1951) est un paysage aux accents poétiques.
Le succès aidant, cependant, la production picturale de Buffet s’accélère et prend un caractère systématique. Certes, Dominique Gagneux, commissaire de l’exposition, voit dans certaines scènes d’intérieur essentiellement un travail formel et il évoque même Mondrian. De fait, avec La Ravaudeuse de filet (1948), probablement l’œuvre la plus intéressante de cette période, ou Homme assis dans l’atelier (1949), la structure peut rappeler vaguement la fameuse « grille » théorisée par l’historienne de l’art américaine Rosalind Krauss. Cependant, ce type de composition reste le plus souvent au service de la figuration et ne modifie pas véritablement la nature de l’image.
Mais le problème est ailleurs. Si les œuvres des premières heures témoignent d’une certaine sobriété, une toile comme L’Ange de la guerre (1954) est d’un pathos outrancier. Et que dire des séries « Mythologies » ou « Autoportraits » qui naviguent entre le kitsch et les lieux communs ? On respire un petit moment face aux animaux qui, depuis toujours, ont fasciné Buffet – crapaud, papillon ou autres longicornes au charme incontestable – avant de plonger définitivement avec les tableaux de fin de carrière, à l’exemple des Clowns musiciens (1991).
Auteurs de l’un des textes du catalogue, Éric Troncy, codirecteur de ce haut lieu de l’art contemporain qu’est le Consortium à Dijon, y présente Bernard Buffet comme « l’angle noir de l’avant-garde ». Il s’étonne qu’à l’ère de Jeff Koons la critique fasse encore payer à Buffet sa Rolls ou ses relations mondaines. Mais en quoi la réussite discutable de Koons autorise-t-elle la réhabilitation de son aîné ?
Commissaire : Dominique Gagneux, conservateur en chef du patrimoine au MAMVP
Nombre d’œuvres : une centaine
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Un grand musée réexamine le cas Bernard Buffet
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 26 février 2017, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mnam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 22h, entrée 12 €. Catalogue, éd. Paris Musées, 264 p., 44,90 €. Et aussi, « Bernard Buffet, intimement », jusqu’au 5 mars 2017, Musée de Montmartre, 12, rue Cortot, 75018 Paris, tél. 01 49 25 89 39, tlj 10h-18h, entrée 11 €.
Légende Photo :
Bernard Buffet, Horreur de la guerre, L'Ange de la guerre, 1954, huile sur toile, 265 x 685 cm, Fonds de Dotation Bernard Buffet, Paris © Fonds de Dotation Bernard Buffet
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Un grand musée réexamine le cas Bernard Buffet