Le Prado orchestre la plus grande rétrospective jamais consacrée au peintre néerlandais, supérieure à maints égards à celle organisée au printemps à Bois-le-Duc.
L’ année 2016 restera dans les annales comme un cru exceptionnel pour les amateurs de Jérôme Bosch (1450-1516), puisque la mort du maître flamand, il y a tout juste cinq cents ans, a été commémorée par deux expositions d’envergure internationale. En février, Bois-le-Duc, la ville natale aux Pays-Bas du « peintre du diable », ouvrait les festivités avec une manifestation organisée au Musée du Brabant-Septentrional. C’est aujourd'hui le Musée national du Prado, à Madrid, qui conserve la plus riche collection d’œuvres de Bosch, qui dévoile sa rétrospective. En effet, il ne s’agit pas d’une exposition itinérante mais de deux projets conçus séparément. L’établissement madrilène a cependant participé à la manifestation batave en envoyant un de ses fleurons, Le Chariot de foin, qui n’avait jamais quitté le royaume depuis le XVIe siècle.
Dans le match opposant les deux événements, les commentateurs se sont beaucoup focalisés sur un élément. Un élément à charge contre le musée ibérique qui expose comme autographes trois œuvres récemment retoquées par le Bosch Research and Conservation Project (BRCP). Ce comité d’experts a procédé à une vaste campagne d’analyses scientifiques, émaillée de nouvelles attributions et de pertes d’attribution. Les spécialistes ont notamment mis à l’index trois peintures appartenant au Prado : La Tentation de saint Antoine, La Table des Sept Péchés capitaux et La Lithotomie. Contrarié, l’établissement a finalement refusé le prêt des œuvres contestées, prêt initialement promis à Bois-le-Duc. Le Prado, qui réfute les conclusions du BRCP, explique longuement dans le catalogue pourquoi il considère ces pièces comme authentiques. Les observateurs, friands de controverses, ont fait leur gorge chaude de cette bisbille entre les institutions, reprochant à Madrid son manque de fair-play.
Espagne 1 - Pays-Bas 0
Les journalistes, en revanche, se sont un peu moins appesantis sur la différence cruciale entre les deux présentations, l’incontestable supériorité de l’exposition espagnole qui accueille un nombre record de tableaux de Bosch. Alors que Bois-le-Duc en réunissait quatorze, Madrid accomplit le tour de force d’en rassembler vingt et un ; c’est-à-dire la quasi-totalité des peintures identifiées à ce jour. Dans ce florilège, seules trois manquent à l’appel : Le Jugement dernier de Vienne (Académie des beaux-arts) et le Calvaire avec donateur de Bruxelles (Musées royaux des beaux-arts), qui ne quittent plus leur écrin, ainsi que Le Triptyque des Ermites de Venise (Gallerie dell Academia). À l’exception de cette dernière montrée aux Pays-Bas, Madrid présente donc toutes les peintures accrochées à Bois-le-Duc, accompagnées de huit tableaux supplémentaires, et non des moindres.
Outre les trois pièces dont la paternité fait débat, le musée arbore deux icônes de sa collection : L’Adoration des mages et le chef-d’œuvre absolu d’El Bosco, Le Jardin des délices. L’institution a aussi décroché deux joyaux, Le Couronnement d’épines de la National Gallery de Londres et La Tentation de saint Antoine du Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne. En prime, il a même réussi à obtenir Le Portement de croix conservé à l’Escurial, alors que le monastère royal organise actuellement une exposition sur les créations de Bosch et de son atelier dans les collections espagnoles. Au printemps dernier, le musée néerlandais annonçait fièrement avoir organisé « la plus grande rétrospective de Bosch jamais réalisée », une performance qui aura finalement été de très courte durée. Car en rassemblant davantage d’œuvres, et pratiquement toutes ses pièces emblématiques, le Prado lui ravit la première place. Il signe d’ailleurs un exploit qui demeurera certainement longtemps inégalé, compte tenu de la difficulté exponentielle à orchestrer ce type de grand-messe monographique.
Enfin, dans cette bataille de chiffres, une différence a étonnamment peu retenu l’attention de la presse, le montant du ticket d’entrée. À Bois-le-Duc, le visiteur devait débourser la somme astronomique de 22 euros, contre 16 au Prado. Un prix certes élevé mais comparable à ceux pratiqués par des musées de stature similaire, comme le Louvre dont l’entrée coûte 15 euros. D’autant que le billet du Prado donne également accès à ses somptueuses collections. Après avoir vu presque tout Bosch, on peut ainsi enchaîner sur les trésors de Raphaël, Rubens, Caravage, le Greco, Titien sans oublier Vélasquez et Goya.
Commissaire : Pilar Silva, conservatrice en chef au Prado
Nombre d’œuvres : 53
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Un Bosch d’enfer
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 11 septembre, Musée national du Prado, calle Ruiz de Alarcón 23, Madrid, tél. 34 91 330 2800, www.museodelprado.es, tlj sauf mardi, lundi-jeudi 10h-20h, vendredi-samedi 10h-22h, dimanche 10h-21h, entrée 16 €. Catalogue, 400 p., 33,25 €.
Légende Photo :
Hyeronymus Bosch, Triptyque du jardin des délices, vers 1490-1500, huile sur bois, 185,8 x 172,5 cm (panneau central); 185,8 x 76,5 cm (panneaux latéraux), Musée national du Prado, Madrid. © Museo Nacional del Prado.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Un Bosch d’enfer