Peu connue en France, son œuvre est constituée de plus de quarante ans de portraits intimes des élites dans leur univers familial.
Paris. Peu nombreux sont les photographes à s’être intéressés aux classes aisées. Peut-être en raison de la difficulté d’explorer ce milieu si l’on n’en fait pas partie.
Née à New York en 1945, dans une famille de banquiers, dont certains membres étaient de grands collectionneurs d’art, Tina Barney a fait de cet univers le socle de son travail. Méconnue en France, son unique exposition remonte aux Rencontres d’Arles 2003. Son œuvre se dévoile aujourd’hui au Jeu de Paume, à travers plus de quarante années de créations où se mêlent photographies de son propre entourage et de la haute bourgeoisie américaine ou européenne, réalisées dans le cadre de son travail personnel ou de bourses, de commandes de la presse ou de la publicité.
Aucune critique sociale, ni raillerie, ni éloge de la grandeur ou de la magnificence dans ces images monumentales, frappantes par les liens intergénérationnels qu’elles laissent percevoir dans des intérieurs somptueux ou au cours de grands événements familiaux. On y discerne les valeurs profondément ancrées qui unissent dès la naissance : l’héritage, la lignée, la transmission, le modèle parental et la famille. Car dans ce « Theater of Manners » (« Théâtre des bonnes manières ou du savoir-vivre ») pour reprendre le titre d’un de ses livres, ce qui est à l’œuvre dans ces portraits hauts en couleur, c’est l’observation attentive des relations entre les générations. Dans l’interaction enfant-parent saisie, parfois sur plusieurs décennies au sein de la famille, beaucoup de choses se racontent à travers les regards, les gestes et les attitudes révélant le modèle parental, l’autorité d’un père, la bienséance ou la jeunesse dorée de cette communauté blanche huppée.
Chez Tina Barney, tout réside dans le détail et la distance avec son sujet. Le décor de la pièce, son mobilier, ses objets et/ou œuvres d’art qu’ils soient chambre, salon, bureau… assoient la scène, renforcent la narration visuelle de ces grands rassemblements familiaux (mariage, baptême, partie de barbecue autour d’une piscine …). Face à ces tableaux photographiques s’observe l’intimité d’un monde, parfois glaçant, étrange, où la jeunesse ne laisse rien transparaître de ses doutes, de ses questionnements ou ses oppositions. Les images de Tina Barney ont d’ailleurs inspiré Sofia Coppola dans sa propre exploration.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Tina Barney photographie « les beautiful people »