Metz célèbre Tania Mouraud avec une rétrospective au Centre Pompidou et plusieurs expositions dans la ville.
Le Centre Pompidou-Metz consacre à Tania Mouraud une large rétrospective couvrant son travail depuis le début des années 1970. Elle est complétée, pour la saison estivale, par une dizaine d’expositions organisée dans autant de lieux dans la ville de Metz.
Au début des années 1970, vos espaces de méditation (« Chambres d’initiation ») étaient-ils une manière d’interroger la notion d’ « individu » ?
Pour le dire vite, c’est un peu comme Louise Bourgeois et ses cabanes. Il s’agissait de créer un lieu où l’on se retrouve soi-même, dans une société où les femmes n’avaient pas tellement leur place hormis dans l’espace de la cuisine. Il s’agissait finalement plus d’une prise de territoire mental et physique que d’une revendication. Mais c’est aussi une échappatoire, car lorsque je sors de ma chambre de méditation qu’est-ce que je vois ? l’horreur partout ! Et quand j’ai fait ces pièces la période s’y prêtait, c’était l’époque « peace & love », et pour moi, qui était jeune, la découverte d’un autre versant de la vie, d’une autre philosophie. Pour certains jeunes, c’étaient les peintures très colorées, Los Angeles, etc. J’ai plutôt choisi ce retrait. Je m’approprie ces propos d’Agnes Martin qui disait : « Je peins pour les gens qui ont le temps de s’asseoir sur un rocher et de contempler un coucher de soleil ».
Avec votre travail sur les écritures et la typographie, souhaitiez-vous inverser des codes ? Cela a-t-il un rapport avec une forme d’autorité ?
Cela a un rapport avec la négation de l’autorité, tout à fait. Les adultes sont très blasés et ne font pas du tout l’effort de les lire, mais un gamin de 10 ans ne s’arrêtera que lorsqu’il aura fini, car il y a encore à cet âge la curiosité et le désir de posséder et de maîtriser. Mais il y a là aussi, comme lorsqu’on se rend dans un pays étranger où la graphie diffère de la nôtre, ce sentiment de non-maîtrise ; on n’a plus alors qu’à jouer sur des émotions, de l’intuition et l’on se retrouve un peu perdu dans la ville. Les écritures parlent toujours de choses importantes : soit d’utopies, soit d’écritures en deuil. Petit à petit, je me suis laissée aller à écrire des choses qui me touchaient et qui peuvent toucher les gens une fois qu’ils ont découvert le message.
Ce n’est pas ce à quoi on pense immédiatement à l’évocation de votre travail, mais un lien à l’abstraction y paraît très important. Est-ce le cas ?
Effectivement je suis fascinée par la peinture abstraite, je suis une enfant de Malévitch et des autres. Cette tentation se retrouve même dans la photographie, ainsi dans ces vues prises à Arromanches [Calvados], très épurées (Backstage 0129, 2013). J’ai eu cette chance inouïe d’avoir une famille qui m’a fait visiter le Louvre pendant dix ans, en fonction de mon programme d’histoire. J’avais donc de bons repères. Ce qui m’a fascinée, ce fut d’abord Léger puis Mondrian, et ensuite Barnett Newman et tous les grands abstraits américains. Je pense que cela vient de cette génération où tout le monde se posait la question : « Que faire après Auschwitz? », et il y a eu chez les artistes une négation de la représentation humaine. Ce désir d’abstraction, c’est un peu aussi la métaphore de ce « je ne peux pas tout dire ». Je pense que c’est un garde-fou pour ne pas tomber dans le gore. Et pour moi, même si c’est inconscient, c’est toujours là.
Qu’est-ce qui vous a conduit à évoquer plus directement l’Histoire, sans tomber dans le « gore » justement, mais avec l’usage de la vidéo comme dans Sightseeing (2002) ou Ad Nauseam (2014) ?
David Krakauer ! J’ai un jour entendu à la télé : « Le roi du klezmer est à Paris. » Je ne savais même pas ce qu’était le klezmer [musique traditionnelle des Juifs d’Europe centrale et orientale, NDLR], mais j’ai eu un coup de foudre pour sa musique. J’ai pris un professeur de clarinette et nous avons échangé à un point tel que tous les barrages que j’ai construits sur mon histoire personnelle se sont fissurés. L’autre déclencheur a été la démocratisation de l’ordinateur personnel et de la vidéo. Le changement d’époque également ; dans les années 1990, les artistes sont devenus moins minimalistes. Je suis une personne de mon temps, traversée par différentes ambiances. Pour Sightseeing, c’est avec mon professeur de clarinette que j’ai fait ce voyage terrible vers ce camp d’extermination français du Natzweiler-Struthof [près de Strasbourg], avec beaucoup de retenue. Je ne pose pas un regard supérieur sur l’Histoire mais je parle de mon histoire, et je communique mon émotion sur des grands thèmes historiques en me fondant aussi sur la culture populaire.
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Tania Mouraud : « Je suis fascinée par la peinture abstraite »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 octobre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz, tél. 03 87 15 39 39, centre-pomidou-metz.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, du vendredi au dimanche 10h-19h, entrée 12 €. Catalogue, 240 p., 39 €.
Légende photo
Tania Mouraud, Le Silence des héros, 1995-1996, 258 banderoles (103 noires et 155 rouges), bois, tissu, production : Frac Lorraine, Metz et Le Quartier, Centre d'art contemporain de Quimper, collection Frac Bretagne, Rennes. © Photo : Centre Pompidou-Metz/Christine Hall.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Tania Mouraud : « Je suis fascinée par la peinture abstraite »