Directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon et co-commissaire de l’exposition, Sylvie Ramond explique la relation amicale et
artistique qui unit Georges Braque et Henri Laurens.
Comment est né le projet de cette exposition Braque et Laurens ?
J’ai proposé à Isabelle Monod-Fontaine, directrice adjointe du Musée national d’art moderne, de faire dialoguer dans une exposition les œuvres de Georges Braque et d’Henri Laurens. Ce projet répondait au désir de l’équipe du MNAM de rappeler l’importance des donations effectuées en 1964 par la veuve
de Braque et en 1967 par Claude Laurens, fils du sculpteur. Donations initiales que sont venues compléter deux autres, tout aussi exceptionnelles, celle, en 1967, de Daniel-Henry Kahnweiler, marchand des deux artistes, et celle en 1984 de Louise et Michel Leiris.
D’où proviennent les œuvres ?
Les œuvres du Musée national d’art moderne constituent le noyau de l’exposition, elles dialoguent avec celles de Lyon (dont le fameux Violon de Braque de 1911) et avec une vingtaine de prêts exceptionnels consentis par d’autres institutions (le musée des Beaux-Arts de Nancy, le musée de Grenoble, le musée d’Art moderne de Lille Métropole de Villeneuve d’Asq, la Tate Gallery de Londres et la Menil Collection de Houston pour ne citer que quelques exemples), ainsi que des prêts de collectionneurs privés.
Quelles sont, selon vous, les œuvres les plus emblématiques de l’un et de l’autre dans l’exposition ?
Peut-être les œuvres cubistes puisqu’elles se rapportent à l’un des courants les plus révolutionnaires de l’avant-garde, notamment par l’invention du papier collé en 1912 par Braque et que Laurens a cherché dès 1915 à transcrire dans l’espace avec les constructions qu’il conçoit en bois polychrome et en tôle. L’exposition présente en une longue galerie une série importante de ces œuvres que Laurens a réalisées sur une période très courte, à savoir entre 1916 et 1918.
Les préoccupations artistiques de Braque et Laurens sont proches. Braque est l’aîné. Comment s’exerce l’influence de l’un sur l’autre ?
Il s’agit d’une relation complexe qui n’est en aucune façon une réplique de la cordée mythique qui unit Braque et Picasso. Leur relation est celle d’un maître qui vient perfectionner son œuvre en regardant celle de son élève supposé. Braque admire chez Laurens sa capacité à développer des motifs dans l’espace ou encore à concevoir des trouvailles infiniment riches de possibilités plastiques comme l’emploi du carton ondulé dans les collages. L’hommage que Laurens rend à Braque est celui d’un pair et non d’un suiveur.
Laurens n’a pas aujourd’hui la même reconnaissance que ses camarades cubistes Picasso, Braque ou Gris. À quoi attribueriez-vous cette relative discrétion ?
Ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui. Il suffit de voir l’intense travail mené depuis des années par Isabelle Monod-Fontaine au MNAM ou de conservateurs comme Joëlle Pijaudier pour comprendre que cette exposition ne vient que parachever cette redécouverte. L’importance de Laurens n’avait pas échappé à l’un des plus grands historiens allemands de l’art, Werner Hofmann, qui lui a consacré une monographie. Restait à montrer en quoi l’aventure individuelle de Laurens fut entourée d’amitiés fécondes, celle de Braque en premier lieu, mais l’on perçoit parfois dans ses œuvres des échos de celles de Juan Gris, de Léger ou de Picasso. Chez ces derniers également, Laurens apparaît souvent...
Qu’est-ce qui fait l’originalité de l’œuvre de Laurens ? Qu’a-t-il apporté à l’histoire de la sculpture moderne ?
Laurens a donné au cubisme une interprétation à la fois méthodique et profondément imaginative, sur le mode de la variation, au sens musical du terme. Il participe à l’histoire de la sculpture monumentale avec une statuaire de bronze dont le trait le plus frappant est la majestueuse volumétrie.
Qu’aimeriez-vous que le public retienne de cette exposition ?
La beauté des œuvres en premier lieu. Mais j’aimerais aussi que le public comprenne – et c’est le principe même de l’exposition – que cette amitié fut chez les deux artistes perpétuellement à l’œuvre, orientée vers la création. J’aimerais aussi que le public ressente combien une exposition comme celle-ci est un laboratoire de l’histoire de l’art, en quelque sorte un théâtre d’idées et de formes.
1882 Naissance de Braque à Argenteuil-sur-Seine. Il passe sa jeunesse au Havre 1885 Naissance de Laurens à Paris. 1902-1904 Braque est inscrit à l’académie Humbert à Paris. 1907 Braque expose ses œuvres de style fauve au Salon des indépendants. 1908-1910 Laurens habite La Ruche. 1909-1911 Braque et Picasso, développent les théories cubistes. 1911 Braque rencontre Henri Laurens et il s’en suit une amitié de toute une vie. 1912 Braque élabore les 1ers papiers collés. 1915. Laurens réalise sa 1re série de papiers collés. 1954 Laurens meurt à Paris. 1963 Braque meurt à Paris.
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Sylvie Ramond : Quand le supposé maître admire son élève
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques L’exposition « Georges Braque et Henri Laurens : un dialogue » présente un peu plus de 125 œuvres qui proviennent principalement des collections du Centre Pompidou, du musée des Beaux-Arts de Lyon et de quelques prêts extérieurs. Elle a lieu jusqu’au 30 janvier 2006, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h et le vendredi de 10 h 30 à 20 h. Entrée des expositions temporaires : 8 et 6 €. Entrée jumelée des collections et expositions : 10 et 7 €. Gratuit pour les - de 18 ans, les étudiants de - de 26 ans et les chômeurs. Musée des Beaux-Arts de Lyon, palais Saint-Pierre, 20 place des Terreaux, Lyon Ier, tél. 04 72 10 17 40.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°575 du 1 décembre 2005, avec le titre suivant : Sylvie Ramond : Quand le supposé maître admire son élève