Peintre de paysage doué et excellent homme d’affaires, Félix Ziem est pourtant tombé dans l’oubli au XXe siècle. Son œuvre est à (re)découvrir au Palais Lumière d’Évian.
Évian-les-Bains (Haute-Savoie). Qui était réellement Félix Ziem (1821-1911) ? « Un artiste inclassable », selon les commissaires de l’exposition du Palais Lumière d’Évian consacrée à ce peintre paysagiste. Il faut l’admettre, le nom de Ziem est non seulement tombé dans l’oubli, mais aussi en disgrâce. Premier artiste vivant à entrer au Musée du Louvre en 1910, son étoile a pourtant commencé à pâlir sous le coup des avant-gardes du début XXe siècle, reléguant son travail au passé. L’artiste a alors tout d’un notable de l’art, menant un train de vie bourgeois, enrichi par une production d’un rythme quasi-industriel de vedute qu’il réalise sur commande (on dénombre 6 000 huiles sur toile de sa main), fréquentant des cercles mondains qui constituent l’essentiel de sa clientèle. Loin du mythe de l’artiste maudit, Ziem incarne le peintre des conventions, à l’incroyable longévité (90 ans), ce qui lui vaut un certain nombre de jalousies – y compris de la part de son marchand Paul Durand-Ruel qui souligne avec mauvaise foi : « Ziem a toujours eu le défaut de trop aimer l’argent et ce défaut est la perte des artistes. »
Quel peintre est-il ? Un peintre voyageur orientaliste ? Un pré-impressionniste qui fréquente le milieu des peintres de Barbizon ? Ou un aquarelliste de génie dont les cieux supportent la comparaison avec ceux de son contemporain William Turner ? Félix Ziem est un peu tout cela à la fois. Car non affilié à un mouvement artistique précis, il trace une carrière très personnelle. La sélection opérée à Évian d’une centaine d’œuvres à partir du fonds Ziem, légué en 1905 par l’artiste au Petit Palais à Paris, permet d’appréhender les multiples facettes du personnage et de son œuvre.
Peintre du mouvement, Ziem est un peintre en mouvement. Il ne possède pas un, mais trois ateliers. Un, rue Lepic, à Montmartre, qui lui permet de fréquenter ses commanditaires parisiens malgré sa détestation de la capitale qu’il ne peint que rarement ; un, à Barbizon qui le rapproche de peintres développant la même vision sensible du paysage, et un troisième, à Martigues, aux portes de la Camargue, qui le plonge dans la lumière d’un sud vénéré. C’est au sein de ces ateliers qu’il retravaille des tableaux dont les ébauches – esquisses, carnets de dessins, pochades – exposées au fil du parcours ont été réalisées sur le motif, en plein air.
La réalité sert de ciment à l’œuvre de Ziem qui sillonne l’Europe et l’Orient au cours de nombreux voyages qui le mènent d’Amsterdam aux cités italiennes, de Saint-Pétersbourg à Constantinople ou à Alger. Il dessine ce qu’il voit, il peint ce qu’il a vu. L’exposition met l’accent sur cette identité de peintre-voyageur : les rives du Bosphore à Constantinople, des scènes de la vie orientale croquées avec vivacité ou les canaux de Venise, une ville dans laquelle il séjourne à dix-sept reprises et qu’il représente à satiété. Il y a aussi les marais de Camargue agrémentés de la faune locale, les ports de Toulon et Marseille, endroits qu’il fréquente assidûment depuis Martigues.
Partout dominent le soleil et l’eau, deux éléments que le procédé scénographique de l’exposition vient souligner avec force, à l’aide d’un gros disque orangé accueillant les visiteurs et de reflets aquatiques sur le sol des salles. Cette vue du soleil de face, dont il partage la rare maîtrise avec le peintre de marines, Claude Gellée, dit le Lorrain, devient sa marque de fabrique.
La peinture est virtuose, on sent le geste rapide et en même temps précis. Néanmoins, à ces tableaux de paysage, devenus des valeurs sûres du marché, Ziem applique une recette constante : « Une étendue d’eau dans le tiers inférieur, un ciel occupant la partie restante et des éléments pittoresques pour situer la vue », récapitule dans le catalogue l’historienne d’art Léa de Saint-Raymond. L’effet de répétition se fait sentir à mesure que l’on progresse dans le parcours.
Au sous-sol du Palais Lumière, se déploie un autre pan de la création de Ziem, plus personnel et plus subtil. Loin des empâtements et des coloris parfois saturés des tableaux de paysage, la fluidité et la délicatesse caractérisent ici les feuilles de petit format, aquarelles et dessins. Les carnets de dessin du peintre numérisés qui se feuillettent sur écran témoignent d’un trait sûr et d’un œil implacable. Aux vues pittoresques succèdent les représentations silencieuses d’une nature sans atours et dénuée de présence humaine autour de Fontainebleau.
Rendre palpable l’homme derrière les tableaux, c’est le mérite de cette exposition qui montre Ziem tant sous les traits d’un talentueux homme d’affaires – grâce à son livre de comptes – que sous ceux de l’autodidacte et travailleur acharné – à l’aide d’une habile suggestion scénographique d’un atelier d’artiste, où s’alignent copies des maîtres anciens et pochades diverses.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Sur les traces de Félix Ziem
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Sur les traces de Félix Ziem