Sur les premiers pas de la peinture américaine

Le Musée d’art américain de Giverny accueille les œuvres du Detroit Institute of Arts

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2003 - 758 mots

À travers quatre-vingt-dix tableaux de la riche collection du Detroit Institute of Arts, le Musée d’art américain de Giverny offre un panorama de l’histoire de l’art du Nouveau Monde, des peintures naturalistes du XVIIIe siècle au réalisme du XIXe. L’exposition s’insère dans un mouvement plus large qui tente de cerner l’émergence d’une identité culturelle spécifique aux États-Unis.

GIVERNY - Après la Biennale de Venise de 1948, “il ne fit alors plus aucun doute, pour les Américains, que Pollock était leur premier véritable maître. Pourtant, si tel il était, imposant son pays sur la scène internationale des arts plastiques, c’est parce que, avant lui, quatre générations de peintres, de mécènes, de critiques, de marchands, de conservateurs et de directeurs de musées, entre autres, avaient contribué, par leur travail, à cet inéluctable avènement de l’art américain”, conclut Annie Cohen-Sohal dans son ouvrage Un jour, ils auront des peintres (2000, Gallimard). À travers un ensemble d’œuvres provenant du Detroit Institute of Arts, le Musée d’art américain de Giverny rend hommage à ces “quatre générations” d’artistes et retrace les prémices d’une peinture proprement “américaine”. Un sujet en vogue, dont divers événements et publications se sont récemment fait l’écho : les expositions “L’impressionnisme américain”, à la Fondation de l’Hermitage de Lausanne (lire le JdA n° 152, 28 juin 2002), et “Les Maîtres de la lumière, peinture de plein air en Californie, 1890-1930”, à la Fondation Mona-Bismarck, à Paris, en septembre 2002, mais aussi la parution d’un ouvrage entièrement consacré à La Peinture américaine (Gallimard), et, le 8 mars dernier, le colloque organisé au Musée du Louvre sur “L’indépendance de l’art américain”.
À la fois thématique et chronologique, le parcours de l’exposition de Giverny commence avec les œuvres de John Singleton Copley datant de la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, les peintres sont plutôt considérés comme des “artisans itinérants”, précise dans le catalogue Graham W. J. Beal, directeur du Detroit Institute of Arts. Leur succèdent des portraits de Gilbert Stuart, Thomas Sully ou Rembrandt Peale, puis une série de natures mortes. Le genre connaît un grand succès auprès du public américain, notamment avec William Harnett. D’autres artistes s’orientent vers des scènes populaires, à l’exemple de L’Appel au repas (1873) de Winslow Homer, d’Aux champs (1878-1880) d’Eastman Johnson ou du Retour des trappeurs (1851) de George Caleb Bingham. Grâce à ces sujets accessibles, ils inventent, selon Graham W. J. Beal, un “art de la démocratie”, qui leur permet de s’assurer une certaine sécurité financière. Mais c’est avec le paysage que la peinture américaine fait ses premiers pas sur la scène internationale.

“Une autre voie”
Le 1er juillet 1867, dans le cadre de l’Exposition universelle, la “Hudson River School” débarque à Paris. Créée par Cole, développée par Durand et perpétuée par des artistes aussi divers que Bierstadt, Inness, Whittredge, Church ou Heade, elle est considérée comme la première véritable école de peinture américaine. Mais les grands horizons déserts et réalistes de ces artistes ne sont pas du goût de la critique qui parle d’“arrogance infantile”, d’“ignorance puérile”, clamant que “l’école américaine se traîne péniblement à la remorque de l’école anglaise”. Par la suite, le critique Jackson Jarves sera encore plus cinglant : “Cette confrontation entre peinture américaine et peinture européenne prouve une seule chose : notre présente médiocrité.” Si cette humiliation publique marque le déclin de la “Hudson River School”, elle incite aussi les artistes du Nouveau Monde à parfaire leur formation artistique en Europe, à Londres et Düsseldorf, où ils allaient traditionnellement, mais aussi à Paris et Giverny, sur les traces des impressionnistes. Les œuvres de James McNeill Whistler, qui fit carrière à Londres, ou Mary Cassatt, qui choisit la France dès 1875, s’insèrent plus dans l’histoire de l’art européen que dans celle de leur pays d’origine. John Singer Sargent, dont est présenté le célèbre portrait de Madame Paul Poirson (vers 1885), a, pour sa part, passé sa vie à sillonner l’Europe, après avoir reçu une formation dans l’atelier de Carolus-Duran, à Paris. Autour de ces figures clés de l’histoire de l’art américain, sont exposées les peintures de Duveneck, Robinson, Hassam, Twachtman ou Paxton, qui paraissent pour le moins conservatrices au vu de la fécondité artistique européenne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Pour Graham W. J. Beal, elles n’en demeurent pas moins “une autre voie particulièrement intéressante”...

AMERICAN BEAUTY, CHEFS-D’ŒUVRE DU DETROIT INSTITUTE OF ARTS, 1770-1920

Musée d’art américain, 99 rue Claude-Monet, 27620 Giverny, tél. 02 32 51 94 65, tlj sauf lundi 10h-18h et 9h30h-18h30 à partir du 1er mai. Catalogue, éditions Scala, 127 p., 22 euros.

Onze ans déjà...

Inauguré en 1992, le Musée d’art américain de Giverny est placé sous l’égide de la Terra Foundation for the Arts de Chicago (Illinois), du nom du collectionneur d’art américain Daniel J. Terra (1911-1996). La mission de cette fondation est de “promouvoir la recherche, l’acquisition, la conservation, l’exposition et la connaissance de l’art américain�? à travers ses deux musées, le Musée de Giverny, mais aussi le Terra Museum of American Art de Chicago, ouvert en 1980. Avec la “Terra Summer Residency in Giverny�?, la fondation finance également le séjour d’artistes et chercheurs en histoire de l’art à Giverny pendant la saison estivale. Les boursiers bénéficient d’un logement et d’un lieu d’étude comme d’un programme de conférences et de séminaires.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Sur les premiers pas de la peinture américaine

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