Dans les années 1910, les motifs floraux avaient envahi le domaine de la décoration. Et pourtant, la jeune Sophie Taeuber (1889-1943) osait déjà broder ou parer des accessoires bourgeois (bourses, tapis ou coussins) de formes abstraites colorées.
L’anecdote en dit long sur l’audace et le caractère visionnaire de l’artiste suisse, à laquelle le Kunstmuseum de Bâle dédie une rétrospective, en collaboration avec le MoMA de New York et la Tate à Londres, qui l’accueilleront à l’automne. Le parcours chronologique de l’exposition aborde toutes les facettes de son parcours artistique : les premières créations d’arts appliqués qu’elle réalise alors qu’elle achève sa formation à Saint-Gall et Munich, puis à Zurich où elle enseigne à l’École des arts décoratifs ; son adhésion au mouvement Dada à Zurich pendant la Première Guerre mondiale, au sein duquel elle crée des marionnettes en bois et invente des chorégraphies ; ses collaborations artistiques avec son mari, le sculpteur Jean Arp, qu’elle épouse en 1922, et avec le théoricien de l’art concret Theo Van Doesburg au chantier de l’Aubette, un complexe de loisirs à Strasbourg ; le développement d’un langage d’art concret en peinture sous l’influence du constructivisme et, enfin, son rapprochement avec les groupements artistiques Cercle et Carré ou Abstraction-Création à Paris, dans les années 1930. Mais le véritable atout de cette passionnante et didactique exposition réside en filigrane dans le portrait d’une personnalité persévérante, dédiée corps et âme à l’art, mais aussi dans celui d’une époque d’expérimentations artistiques troublée par les deux guerres mondiales. Bien que son effigie orne depuis des décennies les billets de banque en Suisse, l’étendue du talent de Sophie Taeuber était restée jusqu’à présent, même dans son pays natal, plutôt méconnue. Cette exposition exhaustive, riche de 250 œuvres, révèle enfin sa place prééminente dans le mouvement de l’art abstrait au XXe siècle.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Sophie Taeuber-Arp, pionnière de l’abstraction