Soichiro Fukutake, 64 ans, est le patron de la Benesse Corporation. Collectionneur et mécène, il est aussi le président de la Naoshima Fukutake Art Museum Foundation. Il nous parle de son projet.
L’œil : Comment et à quel moment vous êtes-vous intéressé à l’art contemporain ?
Soichiro Fukutake : C’est venu progressivement. Lorsque j’étais étudiant, je faisais de l’aquarelle. À l’époque, j’aimais beaucoup les tableaux de Yuzo Saeki (1898-1928) et de Yasuo Kuniyoshi (1893-1953). Mon père en collectionnait, tout comme il collectionnait les impressionnistes. Dans sa collection, il y avait un artiste un peu différent qui m’impressionnait plus que les autres : Jackson Pollock. L’art contemporain m’intéresse parce qu’il questionne la société actuelle et la vie en général. Mon intérêt pour lui s’est accru à la fin des années 1980, au début du projet de Naoshima.
L’œil : Ce projet de Naoshima, du nom d’une île de la mer intérieure de Seto, au Japon, est un chantier culturel que vous avez imaginé en 1989 avec, comme socle, la collection familiale, et comme objectif, entre autres, de montrer l’art contemporain. Pourquoi avoir choisi de réaliser ce projet sur un îlot perdu plutôt que dans une grande ville ?
S. F. : À l’origine, au milieu des années 1980, mon père devait construire sur l’île de Naoshima un équipement de loisirs pour les enfants. Mais il est mort subitement et j’ai voulu poursuivre son projet, mais en le réorientant.
L’œil : Pourquoi ne pas avoir opté pour Tokyo ?
S. F. : Je n’aime pas cette ville. Tokyo représente pour moi la concentration exagérée de tous les pouvoirs en un seul point. Ce qui a eu pour effet de créer un évidement tout autour, dans le pays. Je déteste tout ce qui concerne le « tokyoïsme » et je résiste quotidiennement à cette force énorme que représente Tokyo.
L’œil : D’où ce choix en faveur de Tadao Ando lorsqu’il s’est agi, en 1992, de construire un musée : le Benesse House Museum ?
S. F. : Ne pas choisir un architecte de Tokyo fut, en effet, ma grande décision. Tadao Ando, lui, est d’Osaka. Au départ pourtant, je ne savais pas si son architecture pouvait convenir pour mon projet. Je l’ai alors rencontré et ai été attiré par son caractère et par son humanité. En outre, Ando est un ancien boxeur, il possède donc aussi un degré certain de résistance.
L’œil : L’architecture d’Ando est sobre, voire quasi invisible, lorsqu’il édifie en 2004, toujours à Naoshima, le Chichu Art Museum, un musée complètement enterré. N’aimez-vous pas l’architecture démonstrative ?
S. F. : Dans la plupart des villes, on voit souvent des architectures monumentales qui exhibent le dernier cri de l’esthétique. Ce type d’architecture ne m’intéresse pas. L’architecture, pour moi, ne doit pas s’affirmer en tant que telle.
L’œil : En 2008, vous avez fait construire à Inujima, un îlot proche de Naoshima, un nouveau musée par l’architecte environnementaliste Hiroshi Sambuichi. Souhaitiez-vous faire passer un message « écolo » ?
S. F. : Le travail sur et avec l’environnement est présent depuis l’origine avec le premier musée de Naoshima. Il s’est poursuivi avec le Chichu Art Museum et son inscription radicale dans le terrain. Puis il s’est effectivement accentué avec le musée d’Inujima qui, lui, ne fonctionne qu’avec les énergies renouvelables. En clair, pour qu’un projet soit réussi, il doit, selon moi, réunir trois éléments : l’architecture, donc la peau ; le contenu, en l’occurrence l’art contemporain ; enfin, il doit s’inscrire pleinement dans l’environnement. Sans ces trois facteurs réunis, on ne peut éveiller les gens, ni les émouvoir.
L’œil : Tous ces projets artistiques se doublent d’un volet social… Pourquoi ?
S. F. : Le but absolu de ces projets est de revitaliser un lieu avec ses habitants. Si les gens n’organisent pas eux-mêmes leur vitalité, il ne peut y avoir de message fort. À Naoshima, en l’espace de vingt ans, les habitants ont vraiment regagné une force en eux et ils s’engagent désormais pour améliorer leur vie, ce qui n’était pas le cas avant. Est-ce qu’une volonté politique aurait à elle seule suffit à mobiliser les gens ? Je n’en suis pas sûr. Je pense, en revanche, que l’architecture et l’art contemporain peuvent y contribuer.
L’œil : Vous lancez, en 2010, une nouvelle manifestation dédiée à l’art contemporain baptisée « Art Setouchi 2010 » [lire encadré page précédente]. Quel est votre désir profond ?
S. F. : Mon but, à travers ce vaste projet, est d’envoyer deux messages. Le premier est de montrer clairement une orientation historique de notre civilisation. Avant, au XXe siècle, il était courant de tout détruire pour construire des choses neuves, ceci afin surtout de développer l’économie. Aujourd’hui, en revanche, il faut changer de vision et penser autrement. Nous devons non plus détruire pour remplacer, mais conserver et créer ce qui manque. La seule façon de concrétiser cette idée est de le faire à travers l’architecture et l’art contemporain.
Mon second souhait est de convaincre mes confrères chefs d’entreprise que l’économie doit se mettre au service de la culture, que la culture est un concept supérieur à celui de l’économie. À l’échelle de mon groupe – Benesse Corporation –, 6 % du capital sont reversés dans une fondation – la Naoshima Fukutake Art Museum Foundation – qui s’emploie à revitaliser sur le plan culturel différentes régions du Japon. Même si cette action s’applique aujourd’hui en priorité à l’archipel de Naoshima, nous voulons étendre ce modèle à d’autres régions et à d’autres entreprises. C’est à cette tâche que nous devons nous employer.
1989
Naissance du projet.
1992
Le Benesse House Museum par Tadao Ando.
1998
Première œuvre du projet Art House.
2004
Le Chichu Art Museum par Tadao Ando.
2008
Le musée Seirensho par Hiroshi Sambuichi(île d’Inujima).
2009
Bains publics par Shinro Ohtake.
2010
Art Setouchi 2010, festival international d’art contemporain sur 7 îles de la mer Intérieure de Seto : Naoshima, Inujima, Teshima, Oshima, Ogijima, Megijima et Shodoshima.
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Soichiro Fukutake
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Art Setouchi 2010 », du 19 juillet au 31 octobre 2010. Îles de Naoshima, Inujima, Teshima, Oshima, Ogijima, Megijima et Shodoshima, Japon. Plus d’une vingtaine de projets, constructions et installations d’artistes ont été lancés sur 7 îles de la mer de Seto pour ce festival qui s’annonce être l’un des temps forts de l’année 2010 en matière d’art contemporain. Il faut compter environ 12 heures de vol pour se rendre au Japon, précisément à l’aéroport du Kansai, près d’Osaka, l’un des deux plus grands aéroports nippons, donnant sur la mer de Seto. Cette mer dite intérieure sépare 3 des 4 principales îles japonaises et comprend plus de mille îles reliées par ferry. Outre l’indéniable intérêt artistique, les splendides paysages valent à eux seuls le voyage. http://setouchi-artfest.jp/en
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : Soichiro Fukutake