L’île de Naoshima, confetti de la mer intérieure de Seto, au Japon, est une curiosité culturelle et touristique. En vingt ans, elle est passée du statut d’îlot paisible de pêcheurs à celui de lieu phare de l’art contemporain nippon. Reportage.
Débarquer sur Naoshima est assurément une expérience. Devant nos yeux se déploie une carte postale du Japon campagnard : une minuscule route le long du rivage, quelques maisons traditionnelles, un temple… N’était-ce le débarcadère gracile et miroitant du port de Miyanoura, par lequel on arrive, à mille lieux de l’esthétique rurale alentour. De métal et de verre, il est l’œuvre du duo vedette de l’architecture nippone Sanaa – les actuels maîtres d’œuvre de l’antenne du Louvre à Lens. Non loin, une sculpture ne manque pas d’intriguer : une énorme citrouille rouge à pois noirs, trônant à l’extrémité d’une esplanade déserte. Il s’agit d’une pièce de l’artiste japonaise Yayoi Kusama, intitulée Red Pumpkin.
Mais le visiteur n’est pas au bout de ses surprises, car toute l’île est truffée d’œuvres d’art et d’édifices on ne peut plus contemporains. Ils sont le résultat concret d’un projet ambitieux et néanmoins original, lancé il y a une vingtaine d’années par le collectionneur et mécène Soichiro Fukutake, patron de la Benesse Corporation, un groupe d’édition scolaire et d’enseignement à distance. Son but : revivifier l’île grâce à l’implantation d’espaces dédiés à l’art actuel. Une gageure à l’époque, en 1989, dans cet archipel qui eut, jadis, la triste réputation d’être « la poubelle du Japon », entre lieu de stockage de déchets industriels et pollution chronique générée par les usines ici implantées. Une réalité aujourd’hui puisque ces institutions attirent déjà, selon Fukutake, quelque 340 000 visiteurs par an, dont 20 % d’étrangers.
« L’art le plus fort du XXIe siècle »
Si le temps le permet, l’exploration de Naoshima s’apprécie à merveille à bicyclette. À Honmura, ravissant bourg de pêcheurs, plusieurs maisons historiques ont été transformées par des artistes – Hiroshi Sugimoto, Tatsuo Miyajima, James Turrell… – en installations permanentes. Mais c’est au sud de l’île que s’ancre la colonne vertébrale du défi Fukutake. Trois projets phares y ont été réalisés. À commencer par le Benesse House Museum, construit par une figure de l’architecture japonaise, Tadao Ando. Le bâtiment loge une sélection de pièces de la collection Fukutake : Bruce Nauman, Richard Long, Jannis Kounellis, Yukinori Yanagi… À travers les baies vitrées du musée, on distingue très loin devant le tablier d’un pont métallique et le port de Takamatsu.
Dévaler le sentier qui mène sur la plage en contrebas et déambuler dans le parc alentour permet, ensuite, de découvrir plusieurs œuvres installées en plein air – Cai Guo-Qiang, Dan Graham, Niki de Saint Phalle, etc. –, avec, en fond sonore, le ressac des rouleaux de la mer Intérieure. Ne reste plus alors qu’à remonter sur la colline voisine dans laquelle se love le troisième élément du dispositif : le Chichu Art Museum, petit bijou de béton brut quasiment enterré et signé, une nouvelle fois, Tadao Ando. Il sert d’écrin particulier aux travaux de trois artistes : James Turrell, Walter de Maria et Claude Monet avec cinq toiles de la série des Nymphéas.
En juillet dernier, Soichiro Fukutake a ajouté une énième pièce à son « puzzle » artistique : un établissement de bains publics érigé à deux pas du débarcadère de Miyanoura par le peintre fantasque Shinro Ohtake. Son édifice, loufoque, est un collage d’éléments hétéroclites comme un cockpit d’avion, une coque de bateau ou une sculpture d’éléphant sauvée d’un ancien musée de l’Érotisme nippon. « À travers ce projet, l’art entre dans la quotidienneté, estime Soichiro Fukutake. Lorsque tous les pores de la peau s’ouvrent grâce au bon bain tiède, vous ressentez tout l’esprit de l’art contemporain. C’est l’art contemporain le plus fort du XXIe siècle ! » De la manière la plus… zen qui soit.
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Naoshima - La possibilité d'une île de l'art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : Naoshima - La possibilité d'une île de l'art contemporain