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CIVILISATION

Six siècles de japonisme en Occident

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 2024 - 862 mots

Sous le titre « Des samouraïs au kawaii », l ’abbaye de Daoulas raconte l’admiration multiséculaire des Occidentaux pour le Japon.

Une des armures présentée dans l'exposition « Des samouraïs au kawaii » à l'Abbaye de Daoulas. © Élodie Henaff / CDP29
Une des armures présentées dans l'exposition « Des samouraïs au kawaii » à l'Abbaye de Daoulas.
© Élodie Henaff / CDP29

Daoulas (Finistère). Le japonisme du XIXe siècle tient une telle place dans notre culture que nous en oublions la longue histoire des relations que le pays du Soleil-Levant a entretenues avec l’Occident. C’est ce que raconte Édith Joseph, commissaire d’une exposition adaptée d’une version présentée en 2018-2019 au Musée dauphinois (Grenoble) sous le commissariat de Fabienne Pluchart. Le Musée des Confluences (Lyon), le Musée national d’arts asiatiques-Guimet (Paris) et le Musée de la Compagnie des Indes de Lorient (Morbihan) ont, entre autres institutions et collectionneurs, prêté des objets exceptionnels.

Ce n’est qu’en 1543 que des Portugais atteignent l’île mythique de Cipango citée à la fin du XIIIe siècle par Marco Polo. Tandis que les Européens s’empressent de vendre des armes à feu aux Japonais, ceux-ci produisent des œuvres d’art de toute beauté comme le Paravent Namban byobu dit « des Portugais » (entre 1575 et 1600) décrivant l’arrivée de ces « barbares » dans leur pays. Ils exportent des objets tel le Cabinet-écritoire Namban (entre 1580 et 1620, où se déploie, pour les Occidentaux (ou namban-jin, « barbares du Sud ») tout l’art du laque, de la peinture à l’or et de la marqueterie de nacre. Pour leurs compatriotes, les sculpteurs sur ivoire de l’époque Edo (1603-1868) glissent parmi les okimono (statuettes) qu’ils produisent des représentations de Hollandais.

Un récit historique et culturel

Une armure complète de guerrier japonais (début du XIXe siècle) a été prêtée par le Musée de l’armée, qui détient aussi un Casque Namban (XVIe siècle) mêlant les formes et ornements européens et japonais. Datant de la fin de l’ère Edo, des estampes tirées des romans de samouraïs plongent le visiteur dans l’ambiance des films de sabre. Un Fusil à mèche japonais (XIXe siècle) rompt le charme : ce sont bien les armes à feu qui ont réglé les conflits internes du pays…

Après un passage consacré aux religions – bouddhisme, shintoïsme et catholicisme – est évoquée la fermeture du Japon aux étrangers, en 1641. S’ouvre alors une époque de haute culture illustrée par un magnifique norimono (palanquin) du XVIIIe siècle, une Boîte à papier du début du XIXe siècle, des netsuke ou encore une étagère à pique-nique. Les porcelaines d’exportation Imari, destinées à l’Occident, étaient une exclusivité de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales basée sur l’île artificielle de Deshima à Nagasaki. Une pochette à tabac, une pipe et son étui de la première moitié du XIXe siècle rappellent que les Japonais ont adopté le tabac, apporté par les Portugais. Un Masque de (XIXe siècle) et des estampes évoquent pour nous les prémices du japonisme européen.

Le blocus de 1853 et l’ouverture forcée du pays signent le début de l’ère Meiji, matérialisée par le fac-similé du Traité de paix, d’amitié et de commerce entre le Japon et la France (signé le 9 octobre 1858). Des originaux et reproductions de photographies, rapports et documents commerciaux permettent de mesurer l’impact de ces nouvelles relations entre le Japon et la France. Entre 1864 et 1868, l’ambassadeur Léon Roches sauve la soie française grâce à la coopération japonaise et passe des accords pour la réalisation du chantier naval de Yokosuka, construit sous la direction de l’architecte naval français François Léonce Verny entre 1866 et 1871, tandis que les troupes de marine japonaises sont formées par Émile Bertin.

Proche de Brest, l’abbaye de Daoulas se devait de témoigner de la visite d’escadres japonaises dans le port français au début du XXe siècle. En 1931, le prince Takamatsu, frère de l’empereur du Japon, visite l’École navale, le navire Colbert et l’arsenal. Une petite section est consacrée à la construction de phares de type occidental dès 1876 grâce à l’ingénieur écossais Richard Henry Brunton. Les phares japonais sont équipés de lentilles de Fresnel par la société française Barbier, Bénard et Turenne (BBT). Dès 1897, des films sont tournés au Japon par l’industriel Katsutaro Inabata qui a étudié à Lyon et est devenu l’ami d’Auguste Lumière. Le film Une avenue à Tokyo, gare Shinbashi (1898) de Tsunekichi Shibata est prêté par l’Institut Lumière de Lyon.

Une section sur le japonisme montre des toiles de Jean Francis Auburtin, Lucien Seevagen, Maurice Chabas, Constantin Kousnetzoff et des estampes d’Henri Rivière et de Maxime Maufra ou encore la maquette d’un décor pour l’opérette Le Pays du sourire réalisée en 1933 par Maurice Marchand et prêtée par les archives municipales de Brest. Des éléments du Service « Rousseau » (1866-1875), dessiné par Félix Bracquemond, ou le Vase à anses dit « aux oies sauvages » (vers 1895) d’Antonin Daum permettent de mesurer l’extension de ce mouvement dans les arts décoratifs. Il irrigue aussi la littérature : un exemplaire de Sainte Geneviève de Paul Claudel illustré par Audrey Parr (1923), dédicacé à l’empereur du Japon, est ainsi prêté par l’Indivision Paul Claudel. Mais la guerre se profile de nouveau avec le Kimono de jeune garçon à motif de propagande (entre 1920 et 1945) glorifiant l’aviation et la marine nippones. Après ce soubresaut de l’histoire s’ouvre une renaissance pour le Japon et, pour l’Occident, un japonisme contemporain qui se décline sous les noms de Nintendo, Nikon, Canon, Sony, Miyazaki ou Dragon Ball.

Des samouraïs au Kawaii, au Musée dauphinois
Des samouraïs au Kawaii. Histoire croisée du Japon et de l’Occident,
jusqu’au 1er décembre, abbaye de Daoulas, 21, rue de l’Église, 29460 Daoulas.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Six siècles de japonisme en Occident

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