L’exposition « Des samouraïs au kawaii, histoire croisée du Japon et de l’Occident », à l’abbaye de Daoulas, dans le Finistère, retrace plus de six siècles d’échanges et d’influences avec le pays du soleil levant.
De même que Chrétien de Troyes n’est pas contemporain des chevaliers de la Table ronde dont il conte la légende, ici, le maître de l’estampe Utagawa Kuniyoshi entreprend au XIXe siècle de représenter une figure archétypale de samouraï, guerrier du Japon féodal. On reconnaît ce dernier à son armement : un arc et des flèches, ainsi qu’un ensemble constitué d’un sabre court et d’un sabre long, considéré comme objet sacré et âme du guerrier. Les Japonais se passionnent pour les histoires d’honneur et de sang de ces maîtres de la guerre de l’époque médiévale, organisés en clans régis par des liens de loyauté, de fidélité et de dépendance aux seigneurs qui assurent leur subsistance. À partir du XVIIIe siècle, les estampistes s’inspirent de chroniques guerrières pour les représenter. Leur talent réside dans les couleurs utilisées et les mouvements donnés aux personnages. « Ils établissent ainsi l’image que les Japonais et les Occidentaux se font des samouraïs », observe Édith Joseph, commissaire de l’exposition.
Namban-jin ! Barbares du sud ! Voilà un nom d’oiseau qui aurait ravi le capitaine Haddock. C’est ainsi que les Japonais désignent les Occidentaux, dont ils jugent l’attitude grossière, lorsque ces derniers débarquent au XVIe siècle dans ce mythique « pays de l’or » évoqué par Marco Polo. En 1543, des navigateurs portugais ont échoué sur l’île Tanegashima au Japon. Dès lors, les Portugais, qui ont installé déjà plusieurs comptoirs en Asie, entreprennent de nouer et de développer des relations avec ce Japon qui les fascinent, « excellent non seulement parmi les autres peuples orientaux, mais surpassant également les Européens », décrit le jésuite Alessandro Valignano en 1584. Ce cabinet-écritoire, conçu pour un capitaine de la marine marchande portugaise, témoigne des échanges entre les cultures européenne et japonaise. Cet objet, en effet, n’existait pas au Japon. Il a été conçu par des artisans japonais pour ces « barbares du sud » fascinés par leurs techniques – laque, poudre d’or, incrustations de nacre.
L’année 1641 voit la fin les contacts avec les étrangers. Ces derniers ne peuvent plus pénétrer dans l’archipel et les Japonais ne peuvent plus le quitter, sous peine de mort. Un régime militaire instaure fermement la paix, mettant fin à plusieurs siècles de guerres incessantes. Pendant deux cent cinquante ans, le pays se développe et l’économie fleurit : c’est l’époque dite d’« Edo », l’ancien nom de Tokyo, qui devient le centre économique et politique du Japon. Les chonin, marchands des villes, s’enrichissent au sein d’une société de plus en plus citadine et éclairée. Ils deviennent bientôt mécènes des arts. Se développe alors un « art du monde flottant » – ukiyo-e–, qui donne à voir le monde terrestre, ses beautés et ses plaisirs. À côté du théâtre nô, genre aristocratique qui exalte les vertus des samouraïs, un art dramatique populaire et bourgeois, plus vivant et animé, voit le jour : le kabuki. Les acteurs sont parfois de véritables stars, comme en témoigne cette affichette. Lorsque le Japon, dans la seconde moitié du XIXe siècle, s’ouvre à nouveau au monde, les Occidentaux s’enflamment pour sa culture qu’ils découvrent.
« Japonisme » : le mot est lancé en 1872, par le collectionneur Philippe Burty. Il désigne l’enthousiasme suscité par les objets, les estampes et les livres venus du Japon. En 1867, la participation du Japon à l’Exposition universelle de Paris éveille l’enthousiasme du public. Dès lors, des bibeloteurs recherchent sur l’archipel des objets traditionnels destinés à orner les salons de la bourgeoisie occidentale. Ce grand vase d’1,50 mètre de haut a été importé en France par Léon de Beylié, militaire de carrière, qui découvre le Japon lorsqu’il est en poste en Indochine entre 1884 et 1886. Recherchant « des choses qui paraissent de peu de valeur et qui en auront cependant car [il] ser[ait] le seul à les posséder », il achète à Tokyo « le dessus du panier des marchands d’antiquité ». « On retrouve sur cette pièce en émaux cloisonnés toute cette grammaire classique japonaise, avec ses fleurs, ses rapaces, qui ravit les Occidentaux », observe Édith Joseph.
Le soir est en train de tomber. Un pêcheur et sa femme rapportent les poissons pêchés en mer, tandis que d’autres sont encore en train de rentrer ou ranger leurs voiliers. Le sujet de cette lithographie de la série « La féerie des heures » d’Henri Rivière est typiquement breton. Pourtant, le traitement plastique de l’image s’avère japonais, notamment par ses aplats de couleurs, délimités par des lignes très nettes, ou par sa profondeur sans perspective, structurée par le premier plan. De plus, le format de l’œuvre – haut et étroit – évoque les kakémonos, peintures sur rouleaux de soie ou de papier destinées à être suspendues. Collectionneur d’estampes japonaises, Henri Rivière les étudie avec minutie pour obtenir des effets similaires. Cette lithographie captant un instant de vie d’un port breton témoigne de l’influence de l’art japonais sur les artistes, des impressionnistes aux Nabis en passant par l’école de Pont-Aven.
Goldorak incarne-t-il un nouveau japonisme ? La question est légitime. « La culture pop japonaise irradie l’ensemble de la culture jeune dans le monde », remarque Édith Joseph. Elle a commencé à s’imposer en France à la fin des années 1970, lorsque Dorothée entreprend de lancer une émission à l’américaine autour des dessins animés sur Antenne 2, « Récré A2 ». Les licences pour les dessins animés américains étant extrêmement chères, la chaîne se tourne vers le Japon. Goldorak devient alors un « cheval de Troie » de la culture japonaise. Les séries animées japonaises sont largement diffusées et les jeux vidéo se multiplient. Aujourd’hui, le mot kawaii (mignon) est largement utilisé par les enfants et les adolescents pour désigner des personnages ludiques et attendrissants se déclinant à l’infini, comme Hello Kitty ou Pikachu. Désormais, les Français sont les deuxièmes consommateurs au monde de mangas et films d’animation… après les Japonais.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Japon, fascination de l’Occident
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : Le Japon, fascination de l’Occident