Afrique

Secrets d’initiés

Le Quai Branly expose l’exceptionnelle collection d’objets rituels de la confrérie secrète « bwami »

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 495 mots

PARIS - Réfugié au cœur des forêts d’Afrique centrale et, de ce fait, longtemps préservé des exactions de l’administration coloniale belge, le peuple Lega a développé une statuaire dont l’audace formelle ne saurait faire oublier l’extraordinaire dimension symbolique.

Car aussi raffinées soient-elles, ces pièces taillées dans l’ivoire ou le bois, frangées de poils de chèvre ou parées de cauris, expriment les liens profonds tissés, en Afrique, entre art et initiation. Un mot résume, à lui seul, l’ensemble de la production Lega : le bwami. Organisée en cinq grades, cette confrérie secrète savamment codifiée est bel et bien le cordon ombilical qui lie les vivants au monde des défunts, la colonne vertébrale qui soude la communauté. Si la plupart des hommes et des femmes tentent d’y entrer en tant que novices, peu atteignent le kindi, soit le rang suprême. Véritable école de sagesse et de savoir exigeant de ses disciples une volonté de fer, le bwami infuse tous les aspects de la société. « C’est le pilier central qui soutient l’abri forestier ; si l’on retire le pilier, l’abri s’écroule », résume un proverbe Lega.

Concentrés d’energie
Loin d’être de simples objets de contemplation, ceux consacrés par le bwami sont donc investis d’une charge sacrée qui les rend parfois nocifs, voire mortellement dangereux. Disposés selon des agencements complexes, véhiculant des aphorismes et des poèmes visuels, masques, figurines, mais aussi cuillères, tabourets et couvre-chefs réconcilient ainsi à merveille fonction rituelle et dimension esthétique.

Car comment ne pas succomber — à l’instar du collectionneur américain Jay T. Last dont le Musée du quai Branly expose l’extraordinaire ensemble – à la force plastique de cet art « habité » et sublime tout à la fois ? Statuettes brandissant vers le ciel leurs bras en point d’exclamation, masques dont la taille miniature n’exclut en rien l’intériorité spirituelle, parures constellées de perles, de dents de léopard et de cauris signalant aux yeux de tous le grade au sein de la confrérie…, tous ces objets séduisent par leur extraordinaire propension à conjuguer morale et symbolisme.
Un concept sous-tend, là encore, la pensée Lega : la busoga, soit l’alliance secrète et profonde de la beauté et de la bonté. Soigneusement huilées pour renforcer leur chaude patine, passées de main en main au cours  des chants, danses et performances rituelles et caressées au passage, ces pièces d’exception sont des petits miracles de ferveur, des concentrés d’énergie. Mais que l’on se rassure ! Point n’est besoin d’être initié au bwami pour en goûter l’atemporelle pureté.

Secrets d’ivoire, L’art des Lega d’Afrique centrale,

jusqu’au 26 janvier 2014, Musée du quai Branly, mezzanine Est, 37, quai Branly 75007 Paris, tél.01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi ; mardi, mercredi et dimanche 11h-19h, jeudi, vendredi et samedi jusqu’à 21h. Exposition réalisée avec le Fowler Museum at UCLA, Los Angeles, et le Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City. Catalogue, sous la direction d’Elisabeth L. Cameron, coéd. Musée du quai Branly/Actes Sud, 208 p., 200 ill., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Secrets d’initiés

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