L’histoire du Judaïsme médiéval s’expose pour la première fois en France, au Musée des antiquités de Rouen, au travers de rares témoignages matériels.
Rouen. Le chantier de la « Maison sublime » a pris du retard. Ce monument rouennais du début du XIIe siècle, recouvert de graffitis hébraïques, ne rouvrira à la visite qu’en septembre. L’édifice, l’un des rares vestiges du passé juif en Europe, à la destination cependant incertaine (était-ce une école rabbinique, une synagogue ou une riche habitation ?), ne pourra être découvert en même temps que l’exposition qui se tient au Musée départemental des antiquités de Rouen. Une exposition qui permet de connaître l’histoire du Judaïsme médiéval en Europe du Nord, pour la première fois en France comme l’indiquent les commissaires, Nicolas Hatot, conservateur au musée, et Judith Olszowy-Schlanger, chercheuse associée à la section hébraïque de l’Institut de recherche et d’histoire des Textes. Rappelons ici que, même dans les ouvrages historiques reconnus, l’histoire des Juifs du Moyen Âge a été plutôt oubliée, avalée par celle des chrétiens, majoritaires.
Les productions juives qui s’inscrivent dans la culture médiévale contemporaine peuvent être difficiles à identifier lorsqu’elles ne sont pas rituelles ou ne possèdent pas d’inscriptions. Et beaucoup de témoignages de la culture matérielle et de la vie intellectuelle des Juifs du Moyen Âge ont été dispersés, détruits, confisqués par le pouvoir en place. Cette rareté des vestiges est perceptible au sein de l’exposition qui retrace, à travers un corpus de 80 pièces seulement, un destin difficile. À partir du XIe siècle, marqué par les croisades, les Juifs furent désignés comme « peuple déicide ». Ils furent souvent accusés de meurtres rituels d’enfants chrétiens – incriminations qui aboutirent au massacre des Juifs de Blois en 1171 – ou, plus rarement toutefois, de leurs propres enfants (comme le montre un parchemin qui a fabriqué au XIIe siècle l’histoire d’un père juif ayant jeté son fils dans un four pour avoir célébré l’Eucharistie). Ils sont aussi accusés de profaner l’hostie (comme le suggère un vitrail provenant de l’église de Saint-Eloi de Rouen), de pratiquer la sorcellerie, d’empoisonner les puits ou de répandre la peste noire.
Tout comme les massacres, les expulsions furent nombreuses. Sous Philippe Auguste en 1182, qui rappela les Juifs seize ans après les avoir chassés afin qu’ils développent le prêt sur gages, alors interdit aux chrétiens. Ou sous Philippe le Bel en 1306, lequel a sans doute confisqué ce livre de prières juives présenté dans l’exposition et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France. Si Rouen fut une ville refuge pour les Juifs expulsés d’Angleterre en 1290, la lettre du roi qui attribue les biens fonciers et immeubles des Juifs de Rouen à la commune de la ville met fin à ce statut.
L’exposition n’oublie cependant pas les périodes plus apaisées entre juifs et chrétiens, quand elle évoque en particulier les savants rabbiniques renommés installés en Normandie, à l’exemple d’Abraham Ibn Ezra. Ce Juif arabophone venant de la péninsule Ibérique se fit le traducteur et passeur en 1154 à Rouen d’un ouvrage d’astronomie parmi les plus influents d’Occident. Et fut pour cela, en guise d’hommage, portraituré dans le psautier de Blanche de Castille au début du XIIIe siècle.
jusqu'au 16 septembre, Musée départemental des antiquités, 198, rue Beauvoisine, 7600 Rouen
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Savants et croyants juifs en Europe