Paroles d'artiste

Rosa Barba : « Étendre l’usage d’un espace cinématique »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 742 mots

Grâce à l’aide à la production attribuée par le Prix international d’art contemporain décerné par la Fondation Prince-Pierre-de-Monaco, dont elle est la lauréate de l’édition 2016 avec son film Subconscious Society, Rosa Barba (née en 1972 à Agrigente, Italie) a produit un nouveau film exposé à la 32e Biennale de São Paulo, et centré sur le célèbre Minhocão, l’autoroute urbaine qui traverse la ville.

Dans votre film « Disseminate and Hold » (2016) sont insérées des phrases tirées d’écrits de l’artiste Cildo Meireles et d’autres acteurs de la culture contemporaine. Pourquoi avoir utilisé ces considérations relatives à l’art dans un travail axé autour de la réception par les habitants de São Paulo de l’architecture du Minhocão ?
J’ai vu le Minhocão comme un mode de stockage de toutes sortes de narrations. Le Brésil est aujourd’hui dans une période instable, et cet ouvrage a été construit au cours d’une période instable [en 1969, pendant la dictature militaire], cela fixe des histoires. Je voulais agréger toutes ces histoires liées à la construction et j’ai donc interviewé beaucoup de gens qui se souvenaient de cette époque, mais j’ai aussi regardé dans les archives de la Biennale ce qui s’est passé avec la censure au cours de la dictature, quand la communication n’était pas libre ; je voulais savoir comment les artistes ont réagi. Ils n’ont alors pas participé à la Biennale et je crois que cela a été la seule « déclaration » des artistes à cette époque. Même si cela n’a pas eu d’effet sur le plan international, cette prise de position était vraiment forte, et montrait que les artistes faisaient partie de la société à l’époque. D’autant plus que la Biennale a un véritable écho populaire, l’accès est gratuit et les Paulistes y viennent en masse.
 
Pour cette recherche, j’ai trouvé des textes de Meireles et d’autres et j’ai pensé qu’il était important d’inclure des extraits ; j’ai trouvé très forte une phrase disant que l’art ne peut vraiment exister que si d’autres personnes continuent à le faire vivre. J’ai utilisé le Minhocão comme une image et, grâce aux voix des gens de la rue, cette relation à l’art m’apparaît comme faisant partie de la rue également.

Il est surprenant d’entendre dans le film nombre de personnes défendre le Minhocão, alors que l’on aurait pu s’attendre à plus de critiques, et à des vœux formés pour qu’il soit démoli. Avez-vous aussi recueilli des commentaires négatifs ?

J’ai surtout rencontré des commentaires positifs, particulièrement de la part de ceux qui sont devenus mes acteurs. Ils voyaient cette autoroute comme quelque chose de positif, comme une sorte de structure dans leur vie, avec un rôle social. Selon un grand nombre d’entre eux, il ne devrait plus du tout y avoir de voitures, le Minhocão devrait demeurer un espace libre, comme il l’est le week-end.

Cette architecture agit-elle sur le rythme de leur vie ?

Absolument, c’est pourquoi j’ai essayé de construire un rythme avec la musique. À 15 heures précises le samedi, les dernières voitures sortent et immédiatement après les gens arrivent, ils attendent l’ouverture de cet espace pour s’en emparer.

Vous exposez également à la Biennale une nouvelle version de « White Museum » (2010-2016), qui consiste en un immense projecteur projetant au sol une pellicule vierge. Est-ce l’interaction avec le public par le biais de leurs ombres qui vous intéresse là ?

Lorsque je montre plus d’une œuvre, j’aime installer une sorte de dialogue. Ici, projeter cette image vide sur le sol est aussi une relation avec le Minhocão. J’ai réalisé le White Museum à l’occasion d’une exposition au centre d’art contemporain de Vassivière [en 2012]. Quand j’ai visité cet endroit pour la première fois, il était clair pour moi que je voulais que le bâtiment d’Aldo Rossi devienne le support d’une désintégration de la lumière. Je souhaitais pousser l’idée de projection, en la faisant exister avec le paysage, pour former une seule œuvre. Cela a été une étape importante dans la définition d’un film comme n’étant pas simplement une projection mais aussi une lumière cinématique.

Essayez-vous aussi de donner au film ou au cinéma une présence physique ?
Oui, c’est toujours cette idée d’étirer la possibilité du cinéma au maximum, pour voir jusqu’où elle peut exister, de faire sortir le cinéma de l’auditorium. Mais d’un autre côté, j’ai aussi dispersé des œuvres dans l’auditorium et donc utilisé le cinéma comme un espace d’exposition. Je m’intéresse à l’idée d’étendre l’usage d’un espace cinématique.

Rosa Barba : Disseminate and Hold

Biennale de São Paulo, jusqu’au 11 décembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Rosa Barba : « Étendre l’usage d’un espace cinématique »

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