Le sculpteur australien installe pour la première fois en France ses personnages. Des sculptures d’un réalisme drastique dont l’échelle échappe (presque toujours) à la normalité.
Sous la peau pâle, on croyait voir se dessiner les veines. Un corps maigrichon, nu comme un ver, raide et déjà terreux gisait au sol. Une dépouille criante de réalisme, jusqu’à temps que le visiteur ne surprenne son étrangeté, sa petite taille, ramenée au format d’un nourrisson. C’était en 1997 dans les salles de l’Académie royale de Londres pour l’exposition « Sensations ». Ron Mueck venait d’abandonner la publicité, les effets spéciaux, la confection de mannequins et de marionnettes pour se consacrer à sa carrière artistique. Dead Dad, le cadavre allongé, reproduisait au cil près le corps mort de son propre père. Quelques années plus tard, en 2001, à la Biennale de Venise, Ron Mueck présentait Boy, sa plus fameuse sculpture, un adolescent torse nu, recroquevillant ses cinq mètres de hauteur, littéralement enchâssé dans l’architecture du lieu.
Entre fiction et réalisme
Accroupi, les bras repliés à hauteur de visage, il glissait un regard vulnérable et défensif vers le visiteur cueilli à l’entrée de la Biennale de Venise par cet étrange Gulliver en culottes courtes qu’Harald Szeemann, commissaire de cette édition 2001, avait alors surnommé le « sphinx de la Biennale ».
Cette tension entre fiction et extrême réalisme habite toutes les créatures de Ron Mueck. Une fois la troublante perfection réaliste constatée, une fois la virtuosité et le mystère technique dépassés, c’est une histoire de rêveries, de jeux de miroirs, de psychologies et de narrations possibles qui se met en œuvre.
Corps solitaires
Jusqu’à quand peut-on se regarder soi-même ? Et comment ces monstres nous transforment-ils ? Les corps solitaires de Mueck inventorient pour l’essentiel des moments de vie, parlent de naissance, de mort, de vieillesse ou d’adolescence. Énoncent des émotions, des postures, des psychologies génériques par l’illusion du vivant et de l’intimité. Les regards se font introspectifs, butés ou lourds d’ennui, renvoyant le visiteur à lui-même. Mais c’est surtout de sculpture qu’il est question. Et de sculpture qui ne dédaigne pas de s’inscrire dans le fil de l’histoire de l’art. En se livrant à la construction de ces humanoïdes avec une irréprochable loyauté anatomique et dermatologique, en révélant chaque ride, chaque rougeur, chaque poil ou chaque dessin de muscle, l’artiste finit par un pur artifice, au point que ces corps hyperréalistes ressemblent déjà à des œuvres de Ron Mueck.
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Ron Mueck
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°576 du 1 janvier 2006, avec le titre suivant : Ron Mueck