Dedans, dehors, les petites fictions engagées par les personnages de Ron Mueck ont trouvé en l’architecture de Jean Nouvel un contenant actif, ménageant habilement l’ambiguïté.
On les aperçoit au loin, distraitement. Au seuil de la fondation Cartier. Deux petites mamies, tournées l’une vers l’autre, le dos voûté, la coiffure grisonnante et bien mise, collants chair, manteaux sombres sur jupes vieillottes. Elles semblent comploter. Une fois parvenu à leur niveau, l’artifice s’expose : les petites mamies sont bien petites et le socle qui les surélève ramène leur conversation dans le champ de la fiction et de l’image.
Pour une fois, les personnages paraissent amorcer un lien narratif avec l’extérieur autrement que par effet de miroir. Une version plus théâtrale qu’introspective et fantasmagorique, qui replace le visiteur dans une posture plus traditionnelle de spectateur et Ron Mueck dans celle de la représentation. Nu, livide, les bras raidis et crispés sur la chaise qui l’accueille, un homme détourne la tête vers l’extérieur. Planté au milieu de l’espace, offert à la vue de tous à travers la vitre du bâtiment, ce géant hirsute à la longue barbe manifeste une panique et un désarroi intenses, livrant une version adulte et monstrueuse de l’enfant sauvage.
Exhibé, nu et géant, autant de motifs pour que le spectateur comprenne et explique la terreur qui contracte ce colosse d’un réalisme forcené. Au point de se laisser aller à une forme d’empathie.
Entre réel et artifice
Les masques comptent parmi les œuvres de Ron Mueck qui minorent le syndrome madame Tussot. Leur format dilaté à l’extrême, leur suspension dans l’espace, leur nature fragmentaire, le contraste saisissant entre réalisme accompli et effet de creux et de surface du masque délivrent une tension trouble et épaisse. Si le visage affiche une beauté épanouie, il est moins question de narration que de questionner ce réalisme.
Mueck révèle l’envers du décor, obtenu selon un procédé aussi long que technique, pris en charge par l’artiste, des premières maquettes en plâtre aux cheveux implantés un par un, en passant par le modèle en argile qui servira de base au moulage.
À l’intérieur du moule, Ron Mueck aura entre-temps appliqué des couches de fibre de verre (pour les personnages) ou de silicone (pour les visages), puis après démoulage, appliqué au pinceau ces infimes détails organiques, rides, ridules, rougeurs et aspérités qui donnent vie à ces créatures trop humaines, à cette balance saisissante entre artifice et réel.
1958 Naissance à Melbourne.
1979 Il crée et anime des marionnettes pour une émission pour enfants.
1983 Il quitte l’Australie pour Londres.
1986 Réalisation des effets spéciaux de longs métrages dont Labyrinthe avec David Bowie.
1996 Il arrête toute activité professionnelle pour se lancer à plein temps dans la création artistique.
1997 Il est exposé pour la première fois à la Royal Academy de Londres où l’œuvre Dead Dad fait scandale.
2005 Big Man est exposé au Grand Palais dans le cadre de « Mélancolie : Génie et Folie en Occident ».
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Les grandes personnes de Ron Mueck
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La rétrospective de Ron Mueck se tient jusqu’au 19 février du mardi au dimanche de 12 h à 20 h. Tarifs : 5 et 3,50 €. Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, Paris XIVe, tél. 01 42 18 56 50, www.fondation.cartier.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°576 du 1 janvier 2006, avec le titre suivant : Les grandes personnes de Ron Mueck