VERSAILLES
Le château de Versailles consacre la toute première rétrospective à l’un des meilleurs portraitistes du Grand Siècle, auteur de tableaux iconiques : Hyacinthe Rigaud. Précipitez-vous !
Amoureux du Grand Siècle, ou tout simplement de la bonne peinture, ruez-vous au château de Versailles. Il ne reste en effet que quelques jours pour profiter de la formidable exposition consacrée à Hyacinthe Rigaud, victime collatérale de la pandémie. D’autant qu’il s’agit de sa toute première rétrospective ; une anomalie qui s’explique par la déconsidération dont souffre le portrait, un genre qui n’est hélas pas apprécié à sa juste valeur en France. Face à une telle galerie de chefs-d’œuvre, la hiérarchie des genres semble pourtant bien inopérante et révolue. Mais la méconnaissance de Rigaud trouve également ses origines dans d’autres raisons plus surprenantes et paradoxales. L’artiste a en effet été éclipsé par son œuvre phare, l’iconique Portrait de Louis XIVen costume de sacre. Ce monument de l’histoire de France a relégué dans l’ombre le reste de son œuvre, un corpus d’environ 1 500 tableaux tout de même. Car notre portraitiste était un véritable homme d’affaires à la tête d’une entreprise florissante, qui a régné en maître sur ce genre pendant plus d’un demi-siècle en le refondant complètement et en lui conférant une dignité nouvelle. Toutes les personnalités qui comptent dans le royaume, mais aussi les élites européennes de passage à Paris, ont tenu à passer sous les pinceaux de ce modeste fils de tailleur devenu le portraitiste des rois ! Prélats, princesses, magistrats ou encore financiers, tous voulaient leur effigie par Rigaud. Ils étaient même disposés à attendre parfois plusieurs années pour être exaucés et à débourser une coquette somme. L’exposition déroule cette fastueuse galerie de personnalités, mais surtout elle décrypte la mécanique bien huilée de cet atelier. Car la fortune, critique comme pécuniaire, de Rigaud repose autant sur son talent que sur les facultés entrepreneuriales de celui qui comprend avant les autres tout le potentiel du portrait. Arrivé à 22 ans à Paris, le Catalan décroche le premier prix de Rome dès l’année suivante, en 1682. Contre toute attente, il reste en France, préférant peaufiner son style et agrandir sa clientèle. Rapidement, il met en place une nouvelle formule faisant la part belle à la monumentalité, exaltant le décorum des commanditaires et magnifiant leurs précieuses étoffes. La formule fait mouche, et l’artiste croule sous les commandes. Pour pouvoir répondre à l’importante demande, il développe une méthode proche du taylorisme, proposant à ses clients des catalogues dessinés d’accessoires, de mains, mais aussi de paysages afin de les aider à choisir leur composition. Ils peuvent aussi puiser l’inspiration dans son « book » composé de dessins reprenant les portraits réalisés précédemment. Les plus pressés se laissent parfois tenter par « l’habillement répété ». Une formule qui permet d’incruster le visage du modèle dans une pose et un costume préexistants. À défaut d’originalité, cette option permet aussi de faire quelques menues économies, une remise de l’ordre de 10 %. Un rabais substantiel vu les tarifs pratiqués par le roi des portraitistes.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Rigaud, la fabrique du portrait