Révolutions de la Russie du début du XXe

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 janvier 2006 - 798 mots

La Russie du début du xxe siècle a expérimenté toutes les avancées de l’art moderne, sans pour autant oublier ses racines. Avant que la Révolution d’octobre n’assèche toute créativité.

Néoprimitivisme, rayonnisme, supré­matisme, constructivisme, rationalisme, productivisme, tous ces termes en « isme » forment l’avant-garde russe, de quoi en perdre son latin. Le terme générique d’avant-garde camoufle bien des antagonismes, bien des expérimentations, croisant le chemin de la Révolution bolchevique et de la propagande.
Elle est un creuset en constante ébullition, ouvert aux influences occidentales du moment, du cubisme au futurisme italien, sans jamais se départir de son âme russe. Assurément russe, l’art de ce premier quart du xxe siècle démontre un esprit de synthèse et d’assimilation remarquable.

Retour aux sources
La porosité dans l’originalité sont les prémices de l’avant-garde conduite par le couple Larionov et Gontcharova. Tous deux influencés par les toiles de Cézanne, ils puisent dans la culture populaire russe l’iconographie de leurs toiles néoprimitivistes. À la différence des artistes occidentaux comme Gauguin, ou les expressionnistes allemands qui avaient renouvelé leur peinture en se tournant vers des sujets exotiques, les Russes assumèrent leur héritage, en redécouvrant icônes, loubki (jouets de bois) et imagerie populaire.
Ces sources traitées à la manière des fauves par aplatissement des surfaces, anomalies de perspectives et couleurs violentes donnèrent les premiers coups de boutoir à l’intelligentsia. Scènes de champs, bagarres de comptoir, religion surgissent au gré des expositions dont la plus fameuse est celle du « Valet de Carreau » en 1910.

Abstractions
Le renouvellement, le dépassement de ses propres audaces, voilà l’une des forces de l’avant-garde russe. Nulle envie de se figer dans le confort d’une déclinaison. À un rythme rapide, succèdent au néoprimitivisme, le cubo­futurisme, le rayonnisme (dérivé du futurisme et de l’orphisme) vers 1912, suivis par le suprématisme de Kazimir Malévitch ; celui-ci sera officialisé en décembre 1915 dans l’exposition « 0.10 » à Saint-Pétersbourg.
Sa peinture pure, non objective, empreinte de mysticisme libère les formes de toute symbolique. Le tableau est considéré comme le point zéro sans le désespoir qu’induirait un geste aussi nihiliste. Le blanc, synthèse des couleurs, constitue un infini où flotte des configurations géométriques aux couleurs pures. En 1917, le geste du peintre se radicalise jusqu’au Carré blanc sur fond blanc, un mouvement perpétuel et non le néant, une force de création plutôt qu’un acte destructeur.
Les premiers pas artistiques de la Révolution sont ainsi résolument abstraits, en adéquation avec « la gifle au bon goût » (bourgeois) assénée par l’avant-garde. La non-figuration, l’art autonome sont les formes mêmes de cette nouvelle société, prête, décidée, encouragée à tout reconstruire, absoute de son passé, tournée vers l’avenir.
Au tout début des années 1920, Rodtchenko et un groupe de recherche constitué de plusieurs artistes prennent une nouvelle voie, celle du constructivisme. Avec le productivisme, cette frange de l’avant-garde s’organise autour des préceptes de rationalité, technique, practicité de la forme et le rôle actif de la couleur. Rejetant la peinture de chevalet et la moindre allusion décorative, ils restèrent en définitive attachés aux formes abstraites.
La démocratisation réclamait la création de nombreux objets, modèles de céramique et de porcelaine pour pénétrer tous les foyers, patrons de vêtements de travail, architecture, mobilier, livres, revues, publicités et campagnes d’affichage. Les artistes s’investissent pleinement dans cette fusion de l’art avec la vie. Grâce à leurs contributions, leur engagement social, un homme nouveau était en marche.
L’art, quant à lui, s’engageait dans un nouveau statut.

Audace et retour à l’ordre
L’art n’était plus réservé aux élites. Descendu sur la place publique, il s’installait aussi dans les foyers. La photographie fut à ce titre un médium essentiel. Dans un premier temps, le photoreportage diffusa les progrès de la Révolution auprès d’une population largement analphabète. Puis, dans les années 1920, avec le photomontage et les mises en scène, l’image véhicula l’idéologie bolchevique, glorifiant les valeurs du réalisme socialiste à travers les photographies d’usines, d’ouvriers, de sportifs.
Petit à petit, l’audace des cadrages, des perspectives acérées, des diagonales exacerbées se systématise pour le compte de la propagande. Ce langage formel, essoré, se plie aux exigences du parti sans plus vraiment évoluer à la fin des années 1920. C’est le parti lui-même qui finira par rejeter les artistes qui s’étaient investis dans le nouvel état ; goulag, persécutions, exil, l’avant-garde sera ainsi muselée à l’instar de tout un peuple. La personnalité de ces peintres était sans doute trop forte face au culte de et pour la masse anonyme.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « la Russie à l’avant-garde (1900-1935) » se tient jusqu’au 22 janvier, du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 9 €, 7 € pour les séniors, 5 € pour les 18-26 ans, et 3, 50 € pour les moins de 18 ans. Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, Bruxelles, tél. 32 (0)2 507 84 44.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°576 du 1 janvier 2006, avec le titre suivant : Révolutions de la Russie du début du XXe

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