Art ancien

XIXE-XXE SIÈCLES

Représenter Balzac, un défi impossible

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 25 août 2019 - 540 mots

TOURS

Tours met en lumière les enjeux politiques et sociaux de ces monuments au grand écrivain, et l’impasse esthétique à laquelle ils menaient.

Louis Boulanger, Portrait de Balzac, 1836, huile sur toile, 61 x 50,5 cm, Tours, musée des Beaux-Arts. © MBA Tours.
Louis Boulanger, Portrait de Balzac, 1836, huile sur toile, 61 x 50,5 cm, Tours, musée des Beaux-Arts.
© MBA Tours

Tours. Le sujet de « la célébration sculptée des grands hommes » est dans l’air du temps : l’historienne Jacqueline Lalouette lui a consacré récemment un gros ouvrage, Un peuple de statues, (éd. Mare & Martin) portant ce sous-titre et, à Mâcon, le Musée des Ursulines vient d’aménager l’une de ses nouvelles salles sur le thème du monument à Lamartine. On pouvait toutefois craindre qu’une exposition retraçant l’histoire des sculptures consacrées à Balzac (1799-1850) soit quelque peu rébarbative. Il n’en est rien, et pas seulement parce que Rodin (1840-1917) est au cœur du propos. À travers cette « petite histoire des monuments au grand écrivain » des années 1880 à 1950, racontée par Sophie Join-Lambert et François Blanchetière, du Musée des beaux-arts de Tours, le visiteur est amené à s’interroger sur les différents aspects d’un mobilier urbain qu’il côtoie la plupart du temps sans le remarquer.

La question de la ressemblance

Les premières questions qui se posent sont évidentes : qui décidait ? qui choisissait ? qui payait ? En France, on a tendance à penser que tout vient d’en haut, de l’État ou de la municipalité, et que la commande est mise au concours. À Tours, l’idée est venue d’un groupe de passionnés de l’écrivain avant d’être récupérée par le maire ; une souscription nationale a été lancée et le sculpteur s’est gracieusement proposé. À Paris, la statue était une commande de la Société des gens de lettres et les manœuvres de Zola, qui en devint le président, pour imposer Rodin pour des raisons esthétiques et politiques sont un modèle du genre. Les tentatives désespérées de l’homme du monde et sculpteur Anatole Marquet de Vasselot (1840-1904) pour être choisi (à Tours ou à Paris, peu lui importait) complètent le tableau.

Passé le stade de cette savoureuse comédie humaine, le visiteur est amené à réfléchir à un autre aspect important de l’affaire : que devait représenter une telle œuvre ? Il est ici question d’iconographie (l’écrivain recevant l’inspiration, le même la plume à la main, la présence d’une allégorie…) ; de bienséance – le monument devait être édifiant –, mais aussi de ce que tout le monde attendait : la ressemblance. Non pas avec le vrai Balzac, que personne ou presque n’avait connu, mais avec l’idée que tout le monde s’en faisait. Jeune ou usé ? à peine empâté ou obèse ? joyeux ou tourmenté ? Les sculpteurs, les commissions, les critiques et le public n’avaient évidemment pas le même avis. Mieux, les commissaires de l’exposition montrent comment l’écrivain lui-même a construit son image, laissant très peu de portraits de lui et bridant ainsi l’inspiration des artistes postérieurs.

Et l’on voit alors à quel point Rodin a été brillant, dépouillant peu à peu son Balzac des attitudes, mimiques, attributs pour se concentrer sur « deux yeux qui ont vu la comédie humaine », comme l’a écrit le romancier Gaston Leroux. Mais une sculpture si révolutionnaire ne pouvait convenir aux commanditaires et au public. L’exposition se termine par le projet de l’artiste contemporain Nicolas Milhé commandé par la Ville de Tours en hommage à l’écrivain, une installation dans laquelle la figure de Balzac sera absente.

Monumental Balzac,
jusqu’au 2 septembre, Musée des beaux-arts, 18, place François-Sicard, 37000 Tours.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Représenter Balzac, un défi impossible

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