Mésestimée dans les manuels, dédaignée par les expositions, la sculpture, dès lors qu’elle est concurrencée par le tableau, semble souffrir de la comparaison, tant et si bien que l’histoire de l’art occidental s’apparente presque à une histoire de la peinture.
Aussi les exceptions Michel-Ange et Rodin confirment-elles une règle – stricte – selon laquelle le pinceau primerait sur le ciseau. Si de remarquables expositions ont récemment plébiscité les sculptures d’Edgar Degas, Auguste Renoir ou Gustave Moreau, combien de silences, hormis certains travaux confidentiels, autour de celles de Théodore Géricault, Pierre Bonnard, André Derain ou Max Ernst ? À l’heure des comptes, combien de pierres angulaires pour combien de toiles de maître ?
Ut sculptura poesis
Le cas de Modigliani est exemplaire puisque sa pratique de la sculpture, bien quelle n’ait duré que trois années, rivalise en qualité et en importance avec sa peinture. Mieux, sans doute la surpasse-t-elle, eu égard aux enjeux décisifs pour l’histoire de l’art que cristallisent ses têtes et ses cariatides : retour à la taille directe, recours à un répertoire extra-européen, altération des formes, renoncement à la mimesis traditionnelle. La porosité entre la pierre et l’huile permet des dialogues tels que les toiles offrent bientôt des visages dont les accents cubisants et prismatiques (Portrait de Léon Indenbaum, 1916) sont une traduction des expérimentations sculptées (Tête dite « Ceroni XVI », 1911-1912).
La canonisation de Modigliani
En 1984, lors d’une exposition livournaise, on voulut vérifier une légende selon laquelle Modigliani aurait jeté plusieurs sculptures dans un vaste bassin au cœur de la ville. Trois d’entre elles furent exhumées avant que des étudiants ne revendiquassent, preuves à l’appui fournies devant une assistance médusée, la paternité du canular. L’histoire n’aurait pu qu’être drôle si elle n’avait exacerbé la suspicion tenace entourant le médium sculptural. Qu’importait car, comme Caravage, cet autre martyr, Modigliani, devenait un saint avec, ici et là, sa cohorte de reliques sempiternellement révélées…
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Qui du pinceau ou du ciseau ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°633 du 1 mars 2011, avec le titre suivant : Qui du pinceau ou du ciseau ?