Le MuCEM raconte les échanges maritimes entre les VIIe et XVIIe siècles avec une scénographie qui apparaît à bien des égards un peu disparate.
Marseille. D’entrée le visiteur est absorbé. Il est accueilli par la mâchoire béante et carnassière d’un carcharodon megalodon qui émerge de l’obscurité. Au côté du squelette de ce requin disparu il y a 1,5 million d’années, une vidéo monumentale de la mer, filmée par Yann Arthus-Bertrand, diffuse le bruit régulier des vagues. Cette scénographie immersive signée Maciej Fiszer, devant laquelle on pourrait s’attarder des heures, est à la fois effrayante et fascinante. C’est sur ces sentiments éternellement ambigus que peuvent éveiller les mers et les océans que s’ouvre l’exposition « Aventuriers des mers, Méditerranée, Océan Indien, VIIe-XVIe siècles » installée au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), après avoir été présentée dans une version différente (1) à l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris.
Le début du parcours, où se côtoient notamment une enluminure perse du XIVe siècle montrant Jonas dévoré par la baleine et une gravure parisienne du XVIe siècle représentant un terrifiant vletif (monstre marin), entend bien montrer combien les hommes des temps anciens, quelle que soit leur culture et leur religion (des citations bibliques et coraniques ayant invoqué les dangers de la mer s’étalent sur les murs), ont partagé la crainte de la mer.
Un embarquement réussi
Malgré tout, ils l’ont prise cette mer, confectionnant embarcations et moyens de s’orienter, comme le montre la deuxième salle, dont la scénographie joue aussi sur l’immersion. Dans un espace circulaire tendu d’azur, sorte de microcosme de la Terre, des maquettes de bateaux de tous horizons (barques arabes de la mer rouge, pirogues à balanciers de Colombo…) semblent naviguer sur des flots au-dessus desquels se déploie une carte du ciel stylisée. Sur les cimaises, des mappemondes de toute origine – dont un magnifique planisphère catalan de 1450 conservé à Modène et exposé pour la première fois hors d’Italie – dessinent une géographie fluctuante du monde.
Si les premières salles invitent au rêve, la suite, qui explore ce que les marchands ont pu tirer de la mer au travers des circuits commerciaux organisés pour s’approvisionner toujours plus loin, voit l’effacement de la scénographie immersive au profit de dispositifs de présentation sans atours. Cet accrochage plus classique et dépouillé, qui pourra décevoir le visiteur qui conçoit une exposition comme un spectacle total, a cependant le mérite de mettre l’objet au premier plan comme témoin des déplacements et des échanges entre les peuples. Ces objets (200 pièces émanant d’institutions de tous les endroits du monde) racontent avec succès une histoire qui n’est pas nationale, mais « connectée », comme l’explique Vincent Giovannoni, conservateur au MuCEM et commissaire de l’exposition. « Venise ou Constantinople ne se sont pas construites indépendamment du monde, mais dans le cadre de leurs relations aux autres cités, aux royaumes et aux empires », précise-t-il. Ici, des flacons en cristal de roche produits sous le califat fatimide du Caire (969-1171) qu’Orientaux et Occidentaux ont assidûment convoités. Là des minéraux bruts (corail, lapis-lazuli, diamant, minerai d’or…) recherchés par les aventuriers des mers ; plus loin des pièces de jeu d’échec qui trahissent des origines multiples – dont l’ornementation est islamique, mais qui sont sculptées dans de l’ivoire de morse présumant qu’elles ont été réalisées dans le nord.
Les pièces provenant d’épaves forment sans doute les ensembles les plus éloquents, car elles sont venus figer au fond des eaux l’existence et la nature d’un échange commercial. L’Asian Civilisations Museum de Singapour a concédé le prêt exceptionnel d’un lot de miroirs et de céramiques découverts en 1998 au large d’une île indonésienne. Les archéologues ont prouvé que ces pièces d’origine chinoises ont embarqué sur un navire fabriqué au Moyen-Orient, ce qui témoigne des échanges commerciaux maritimes directs entre le monde arabo-persan à l’époque abbasside (750-1258) et le monde chinois de la dynastie Tang (618-907). Une exposition bien ficelée, qui ressuscite des temps déjà globalisés.
À l’exception d’une céramique d’Iznic du XVIe siècle et d’une chromolithographie du début du XXe siècle évoquant les croisades, les 200 œuvres exposées ne proviennent pas des fonds du MuCEM, les collections de l’institution héritière du Musée des arts et traditions populaires (ATP) étant très occidentales. Parmi la cinquantaine de prêteurs mobilisés, on retrouve le Musée des arts décoratifs de l’Océan Indien de La Réunion, le Kunsthistorisches de Vienne, le Musée Guimet et le Musée maritime de Dubrovnik. M. B.
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Quand l’homme prend la mer
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu'au 9 octobre, MuCEM, 7 promenade Robert Laffont (esplanade du J4) 13002 Marseille.
Légende Photo :
Arrivée de Vasco de Gama à Calicut (détail), atelier de Tournai, début du XVIe siècle, tapisserie en laine et soie, Caixa Geral de Depósitos, Lisbonne. © Bridgeman Images.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Quand l’homme prend la mer