Séparée du Levant par une simple « frontière liquide », Venise fut un creuset prolifique des influences orientales. Une vaste exposition présentée à l’Institut du monde arabe, à Paris, revient sur ces échanges.
PARIS - Alors que les arts islamiques suscitent un regain d’intérêt de la part des institutions patrimoniales, l’Institut du monde arabe (IMA) a produit, en collaboration avec le Metropolitan Museum of Art (Met) à New York, une judicieuse exposition traitant de la perméabilité entre cultures orientale et occidentale, desquelles la Sérénissime fut l’un des principaux creusets. Tête de pont vers l’Orient, Venise a toujours entretenu d’étroits rapports commerciaux et diplomatiques avec le monde byzantin puis islamique, quitte à occulter la question religieuse. Ces contacts ont produit de fructueux échanges artistiques.
Les limites chronologiques de l’exposition permettent l’évocation d’une longue temporalité, correspondant à l’apogée de Venise. Les chroniques racontent en effet qu’en 828 deux marchands dérobèrent à Alexandrie les reliques de saint Marc, qui allaient faire la renommée de la cité. S’en suivent, au fil des siècles, des relations fluctuantes, relativement apaisées avec les Mamelouks (1250-1517) – lesquels dominent la Méditerranée orientale de l’Égypte à la Syrie –, nettement plus conflictuelles avec les Ottomans (1281-1929). La Renaissance est en effet agitée par une succession de conflits, de la chute de Constantinople en 1453 – curieusement passée sous silence dans l’exposition – à la bataille de Lépante (1571), qui voit la flotte vénitienne dominer les Turcs. Dès le XVIIe siècle, les relations se crispent alors que Venise amorce un lent déclin, parachevé en 1797 lorsque la République tombe aux mains de Napoléon Bonaparte.
Le tapis est dans le tableau
Le parcours – toujours tortueux – des salles d’exposition de l’IMA aborde ce vaste sujet sous un angle à la fois chronologique et thématique qui permet de prendre la mesure de la vitalité de ces interactions. L’imprimerie, apparue tardivement à Venise (vers 1500), autorise une diffusion rapide du savoir oriental, comme en témoignent ces ouvrages d’astronomie ou de médecine, mais aussi ces traductions d’Averroès ou d’Avicenne, protégés par de luxueuses reliures de cuir couvertes d’arabesques. Les arts décoratifs, objets d’un négoce lucratif, ont été sans conteste les grands bénéficiaires de ces échanges. Dès le XIVe siècle, les verriers de Murano profitent du déclin du savoir-faire égyptien et syrien pour s’imposer sur ce marché et exporter vers le Proche-Orient des pièces émaillées. L’utilisation de motifs et de formes liées au monde islamique a par ailleurs provoqué une confusion entre les lieux de production, certaines pièces vénitiennes ayant été récemment identifiées comme étant des pastiches islamiques. Si les arts du métal, domaine d’excellence des artisans mamelouks, ont connu un véritable succès d’exportation, la céramique ottomane, notamment les « bleus et blancs » inspirés de la porcelaine chinoise puis le célèbre rouge vermillon des ateliers d’Iznik, ont suscité un engouement non démenti. Ces pièces ont été rapidement imitées en majolique italienne, avec plus ou moins de succès.
Les peintres de la lagune ont à leur tour été séduits par ces influences exotiques. Certains motifs font leur apparition, tels ces tapis d’Anatolie, symbole de richesse de leur propriétaire, dont Lorenzo Lotto (vers 1480-1556) fait l’un des accessoires de prédilection pour de ses tableaux. Les importations orientales permettent aux artistes de se procurer de nouveaux pigments, ce qui a peut-être contribué à l’essor du « coloris » vénitien. Cette section de l’exposition – qui aurait pu être plus étoffée – offre à voir quelques très belles études de costumes orientaux, dues au crayon de Vittore Carpaccio (vers 1465-1525) ou de Giovanni Mansueti (actif entre 1484 et 1526), artistes qui ne traversèrent pourtant jamais la Méditerranée et durent s’inspirer de gravures. L’œuvre emblématique de ces échanges entre Venise et l’Orient, le Portrait de Mehmet II (National Gallery, Londres), attribué à Gentile Bellini (1429-1507), a cependant fait le voyage. Exécutée à Istanbul en 1480, lors du long séjour que l’artiste fit à la cour du conquérant de Constantinople, cette image du sultan ottoman introduit un genre nouveau dans la tradition picturale musulmane. Les nombreuses miniatures inspirées de ce célèbre profil aquilin illustrent parfaitement cette pénétration durable.
Jusqu’au 18 février 2007, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris, tél. 01 40 51 38 38, www.imarabe.org, tlj sf lundi 10h-18h, samedi et dimanche jusqu’à 19h, jeudi jusqu’à 21h. Cat, éditions Gallimard, 304 p., 65 euros, ISBN 2-07-011816-9.
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Quand la Sérénissime était cosmopolite
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Abonnez-vous dès 1 €- Nombre d’œuvres : 200 - Commissariat général : Brahim Alaoui, directeur du département Musée et Expositions de l’IMA - Commissariat scientifique : Stefano Carboni, conservateur, département des arts islamiques, Met, New York - Scénographie : Vincen Cornu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Quand la Sérénissime était cosmopolite