Pour répondre aux goûts de leurs clients, les artisans vénitiens ont fortement puisé dans les formes et la culture orientales. C’est ainsi que leurs marchandises ont décoré les palais ottomans.
Les deux civilisations se faisaient face, comme l’illustre un tableau d’un anonyme vénitien Audience d’une ambassade vénitienne dans une ville orientale vers 1490. Damas, qui apparaît en arrière-plan avec ses minarets et le dôme de sa mosquée, est une cité soigneusement close. Les Vénitiens sont reçus à la porte de la ville par un dignitaire mamelouk portant le turban « à cornes » réservé aux sultans et aux grands seigneurs.
À gauche des scènes de rue mêlent des personnages, tous portant turban, et des animaux exotiques, des chameaux, un singe. C’est en Occident la première tentative pour représenter un paysage oriental dans tous ses détails, architecture, habitants, faune et flore.
Les motifs orientaux des verres de Murano
Pour les arts de la table, on crée à Venise ce qui plaira dans les palais ottomans. Le verre d’origine orientale sera très tôt fabriqué à Murano par des verriers capables d’obtenir une parfaite transparence. On privilégiait une décoration aux motifs géométriques ou floraux d’inspiration orientale. Un Pichet en verre émaillé et doré, élégant mais sobre aurait pu répondre à ce besoin. Les collections du musée du Caire prouvent l’ampleur des exportations de Murano. Giovanni Bellini a inséré certaines de ces productions raffinées dans son Festin des dieux en 1514.
Toujours pour la table, la céramique fabriquée en masse à Iznik, en Asie Mineure, a aussi été copiée. L’exposition présente un Plat créé à Iznik vers 1580, porteur d’un magistral décor floral ondulant comme un drapeau, et une imitation modeste réalisée à Padoue en 1633.
Le luxe vestimentaire des Vénitiens était remarqué par les étrangers en visite. En ce domaine, la cité des Doges diffusait en Occident les techniques et coutumes observées parmi les Ottomans,
et transmettait la fascination exercée par l’exotisme oriental. Un Vénitien célèbre, Gentile Bellini, n’était-il pas revenu de son séjour à la cour de Mehmed II habillé à la mode turque ? De tels extrêmes devaient rester sans suite mais Venise créait la mode dans les nombreux ateliers de ses tailleurs, couturières, dentellières, perruquiers, chausseurs et joailliers.
Pour trouver des modèles, ces artisans faisaient appel à des sortes de catalogues : Costumes et habits des divers peuples de la terre. Le plus connu était publié en 1590 par Cesare Vecellio, un des fils de Titien, avec de minutieuses gravures. L’une représente Un Gardien de la porte du palais ottoman, une autre Un Marchand vénitien dans un long manteau complété par une pèlerine. Pour ce genre de vêtements on fabriquait à Venise de lourds velours de soie rehaussés de fils métalliques, coupés, ciselés et brochés.
C’est ainsi que Carpaccio imaginait les caftans aux motifs larges et puissants des Orientaux qu’il peignait dans le coin inférieur gauche de sa Prédication de saint Étienne de Jérusalem.
Les recherches croisées de nouvelles couleurs
Pour teindre les textiles, des découvertes ont permis de créer des couleurs inhabituelles. Les influences étaient réciproques. L’Orient a fourni l’indigo, teinture végétale qui permet d’obtenir le bleu, et aussi le kermès, teinture animale qui donne tous les tons de rouge profond. Inversement, pour obtenir des couleurs pastel, vers 1440, un Vénitien établi à Constantinople, Giacomo Badoer, fit
venir de Venise du blanc de céruse pour enrichir sa palette. Pour les tissus de laine, que le même Badoer vendait sur les marchés orientaux, chaque couleur était déclinée dans une gamme de nuances.
Ces progrès ont permis de réaliser en Orient des tapis venus souvent réchauffer les palais vénitiens. Certains ont servi de cadeaux diplomatiques, comme ce Tapis entièrement en soie avec brochage de fils argentés offert en 1603 par l’empereur moghol Shah Abbas à la basilique de San Marco.
Quand Venise apprend à travailler le cuir
Les avancées réalisées en Orient pour les teintures ont facilité le travail du cuir. C’est durant ses voyages professionnels au Levant que Giovan Rosetti réunit les informations contenues dans son livre imprimé à Venise en 1548 sur L’Art de préparer et de teindre les peaux et les fourrures. On fabriquait des boucliers et carquois en cuir repoussé, peint et doré sur âme de bois. Mais c’est aussi en cuir repoussé que furent réalisées de luxueuses reliures comme : Le Trasformazioni de Ludovico Dolce.
Au xviie et xviiie siècles, Venise se ferme aux influences extérieures et cherche à maintenir les institutions en évitant les réformes. La transmission des savoirs et des techniques cesse progressivement, tarissant les sources de renouvellement. Les Turcs connaissent aussi semblable déclin et leur avance prend fin devant Vienne en 1683.
985 Venise et Gênes commencent à commercer avec l’Asie et le reste de l’Europe. 1063-1094 Construction de la basilique de San Marco. 1082 Venise est autorisée à commercer avec Byzance. 1207 Premier traité de commerce entre Venise et le sultanat syrien d’Alep. 1375 Les Vénitiens entretiennent des consuls à Alexandrie,au Caire, à Damas et à Beyrouth. 1388 Traité de commerce entre les Vénitiens et les Turcs. 1502 Signature du Traité de paix entre Venise et l'Empire ottoman. 1797 Napoléon soumet Venise à l’autorité autrichienne.
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L’influence orientale dans les arts vénitiens
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Venise et l’Orient, 828-1797 » aura lieu du 3 octobre 2006 au 17 février 2007, tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h. Tarif plein : 10 €. Tarif réduit : 8 €. Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Place Mohammed-V, Paris Ve, métro : Jussieu, Cardinal-Lemoine, Sully-Morland. Tél. 01 40 51 38 38, serveur vocal : 01 40 51 38 11,www.imarabe.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°584 du 1 octobre 2006, avec le titre suivant : L’influence orientale dans les arts vénitiens