Le Musée Maillol, à Paris, dévoile les œuvres érotiques de l’artiste viennois.
PARIS - Figure solaire du mouvement sécessionniste dans une Vienne en pleine effervescence, Gustav Klimt (1862-1918) avait aussi son jardin secret. Avec « Gustav Klimt. Papiers érotiques », le Musée Maillol à Paris lève le voile sur l’œuvre graphique de l’artiste viennois, un pan méconnu de sa production.
« Klimt […] était capable de peindre la femme dans sa dignité distante et de la dessiner dans sa totale disponibilité sexuelle. » Dans son essai publié dans le catalogue de l’exposition, l’historien de l’art Werner Hofmann donne le ton. Peintre portraitiste de la bourgeoisie éclairée viennoise, croulant sous les commandes, Klimt révèle le paradoxe dans lequel était plongée la féminité en Europe à la fin du XIXe siècle. À l’heure où, s’adressant à ses mécènes bourgeois, Sigmund Freud relate dans Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905) sa théorie selon laquelle « la libido est de nature masculine », Klimt dessine depuis longtemps des femmes s’adonnant à l’onanisme. Sa familiarité avec le corps féminin découle sans doute de son appétit certain pour la bonne chair – il était père de quatorze enfants naturels Et cette gourmandise se retrouve dans sa pratique insatiable de l’art du dessin, un acte de nature essentiellement privée car libéré de toute contrainte liée aux commandes officielles. Klimt dessine pour lui-même. Synonyme de liberté, le dessin est son terrain de jeu et, selon Caroline Messensee, commissaire de l’exposition, le résultat d’un besoin vital : Klimt était tel « un musicien qui de temps en temps s’assied à son piano et fait des gammes ». Le caractère compulsif de l’activité de l’artiste apparaît dès les premières études réalisées en préparation aux panneaux décoratifs pour l’université de Vienne à partir de 1894. Près de 4 000 feuilles, jamais sorties de son atelier, sont répertoriées, beaucoup étant des études préparatoires à des tableaux. Les visiteurs de son atelier évoquent d’ailleurs des sols jonchés de feuilles de papier kraft, régulièrement piétinés ou choisis comme paillasses par ses chats.
D’un point de vue stylistique, ces dessins paraissent singulièrement « dénudés » par rapport aux riches toiles du peintre. Les effets de modelé et les postures classiques des modèles des premières études vont rapidement faire place à un trait rapide, voire hachuré, caractéristique de la spontanéité de ces feuilles érotiques. Les compositions, largement horizontales, ont une qualité à la fois liquide et végétale, sans doute des restes du Jugendstil. Werner Hofmann parle d’ailleurs de femme « étalée comme un paysage ». La légèreté du crayon, les postures lascives et le regard même de l’artiste témoignent d’une douceur peu commune chez ses contemporains. Empreintes d’une sérénité visible, ces femmes somnolent, rêvent ou se caressent.
Accrochage peu scientifique
Omniprésente, cette sensualité est à l’opposé du climat torride et fantasmatique du « Picasso érotique » présenté à la Galerie nationale du Jeu de paume à Paris en 2001 – l’artiste espagnol allait jusqu’à s’identifier à un taureau. Les nus indifféremment féminins ou masculins d’Auguste Rodin – que Klimt rencontre en 1902 – s’attachent davantage à la description du corps, immobile ou en mouvement. Ce regard de sculpteur prévaut également dans les nus de Bourdelle ou Maillol. Chez Klimt, la femme existe par elle-même. Et, quand il n’est pas relégué à une fonction de faire-valoir, l’homme est absent. Les étreintes des couples (lesbiens ou hétérosexuels) laissent néanmoins paraître une tendresse certaine.
On regrettera cependant le manque d’approche scientifique du sujet, réduit à une simple présentation de belles feuilles. L’accrochage chronologique et les quelques photographies ne suffisent pas à mettre les dessins en perspective. Rien n’est dit du passage de l’étude au tableau ou des habitudes du peintre et de ses modèles. Car cet œuvre graphique ne saurait se résumer à un simple exercice de style. Il donne à voir la manière dont Klimt appréhendait le corps de la femme. Appartenant à la sphère publique, ses tableaux présente une femme ornée, telle une icône, de lourds apparats. Quand il aborde la nudité et la sexualité en peinture, Klimt choisit des personnages mythologiques (Danaé, dont une esquisse est ici prêtée par le galeriste parisien Éric Coatalem) ou bibliques (Judith). Dans la sphère privée à laquelle appartiennent les dessins, la femme évolue en revanche dénudée. Elle se libère, de la même manière que Klimt se libère par le dessin.
Jusqu’au 30 mai, Fondation Dina Vierny - Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com, tlj sauf mardi et jours fériés 11h-18h. Catalogue, coéd. Gallimard/Musée Maillol, 200 p., 110 ill. coul., 35 euros, ISBN 2-07-011805-3.
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Quand Klimt effeuille les femmes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Quand Klimt effeuille les femmes