Design

XXE SIÈCLE

Quand Bacon était designer

Par Élodie Antoine · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 834 mots

Avant d’être peintre, Francis Bacon, inspiré par le modernisme, fabriquait des meubles. L’Espace de l’Art concret exhume cette part méconnue de son œuvre.

Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Reconnu pour la puissance suggestive de ses peintures, Francis Bacon (1909-1992) l’est moins pour son activité de designer, car sa production, limitée dans le temps, est rare et lacunaire. C’est pourtant comme designer que Bacon commence sa carrière. L’exposition « Francis Bacon et l’âge d’or du design » présentée à l’Espace de l’Art concret (EAC) confronte pour la première fois ses premières expériences artistiques aux œuvres des designers et peintres qui l’ont influencé.

En autodidacte

Si la vie de Bacon fut pour le moins chaotique, son enfance l’a tout autant été. Sa relation conflictuelle avec son père le conduit à quitter le foyer familial à l’âge de 16 ans. L’année suivante il entame un voyage en Europe à l’occasion duquel il découvre le Bauhaus à Berlin et Picasso à Paris. Lorsqu’il revient à Londres en 1929, c’est en autodidacte qu’il s’installe dans un garage reconverti en atelier et se lance dans la fabrication de mobilier. Sa carte de visite, présentée dans l’exposition, décrit son activité : décoration moderne, mobilier en métal, bois et verre, tapis et luminaires. Dès l’été 1930, la revue d’art britannique The Studio lui consacre une double page et le présente comme l’un des jeunes décorateurs les plus prometteurs de sa génération. L’exposition de ces archives et de photographies de l’époque est essentielle pour prendre la mesure de la diversité des propositions de l’artiste : tables basses, tabourets, bureau, coiffeuse, canapé, miroirs, paravent, console à cocktails et tapis. De cette production, il ne demeure aujourd’hui que très peu d’objets : sept tapis dont l’un d’entre eux est exposé à l’EAC (Tapis, v. 1929) aux côtés d’un Tabouret (v. 1930) en bois peint et d’une Table (v. 1930) en verre et métal.

Comment cette expérience singulière a-t-elle pu ainsi disparaître de l’histoire ? Lorsque Bacon fait, en 1933, le choix de la peinture, il abandonne définitivement le design. Il n’aura de cesse, tout au long de sa carrière, de rejeter ce mobilier, le considérant d’ailleurs comme « terriblement influencé par le style français de l’époque » (entretien avec David Sylvester, 1997). Bacon semble avoir lui même orchestré la dissimulation de l’origine de sa carrière. Le même sort est réservé à ses premières peintures dont deux d’entre elles sont présentées dans l’exposition (Gouache [1929] et Peinture [1930]).

De multiples influences modernistes

Ses premières créations en tant que designer portent d’emblée l’empreinte du modernisme : de l’utilisation de l’acier tubulaire à celui du verre. La confrontation dans l’exposition de sa Table (1930) avec celles d’André Lurçat et d’Eileen Gray est éloquente. Le tabouret en acier tubulaire et en peau de veau, reproduit dans The Studio, semble aussi bien inspiré par le fauteuil MR 20 Weissenhof (1927) de Ludwig Mies van der Rohe que par la chaise longue LC4 (1928) de Le Corbusier, tous deux exposés. Enfin, le Transat (1923-1925) de Robert Mallet-Stevens, à la structure tubulaire en tôle laquée verte, n’est pas sans lien avec l’expérience de Bacon réalisée sur une de ses tables basses dont les pieds sont peints en rose. L’influence du modernisme allemand et français est directe et évidente. Ces meubles-objets n’en sont pas moins intéressants. Ils traduisent l’intérêt de l’artiste pour l’avant-garde. Ainsi, lorsque Bacon réalise ses premiers tapis (v. 1929), c’est vers le purisme qu’il se tourne. L’un d’entre eux, accroché au mur, emprunte à Composition murale (1926) qui le jouxte et à Nature morte, composition à la feuille (1927), de Fernand Léger, leurs formes, motifs et structure.

L’intérêt précoce porté à des formes radicales qui engagent une nouvelle vision du monde n’est pas étranger à la quête inlassable de Bacon : créer une œuvre singulière, en rupture totale avec ses prédécesseurs et ses contemporains. Le modernisme n’aura-t-il pas produit sur Bacon l’effet d’une recherche éperdue de radicalité ?

Comment faire beaucoup avec peu  

L’ambition de l’exposition était de taille car il reste très peu d’objets de cette production. Le pari est réussi grâce au parti pris des commissaires (Fabienne Grasser-Fulchéri et Elsa Boustany) qui présentent ces objets rares en dialogue avec les créateurs qui les ont influencés. Les œuvres de Bacon (une table basse, un tabouret et un tapis) sont exposées aux côtés de celles du design moderniste. Parmi celles-ci, deux d’entre elles sont particulièrement bien choisies pour illustrer l’origine de la Table (v. 1930) de Bacon réalisée en acier tubulaire et verre. Il s’agit de la Table d’André Lurçat (v. 1930) et de la Table à petit déjeuner E-1027 d’Eileen Gray (1929). On peut regretter l’absence des modèles utilisés par Bacon pour créer son tabouret en bois (Tabouret, v. 1930), pourtant présents dans le catalogue (Pierre Chareau, Tabouret SN1, v. 1926 et Robert Mallet-Stevens, Tabouret, 1929-1932). Mais une salle consacrée à la documentation, à partir des archives issues de la Francis Bacon MB Art Foundation à Monaco, permet de découvrir l’étendue des objets créés par Bacon et de pallier leur absence dans l’exposition. É. A.

Francis Bacon et l’âge d’or du design,
jusqu’au 5 janvier 2025, Espace de l’Art concret, château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Quand Bacon était designer

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