Le Victoria and Albert Museum est le premier musée au monde à proposer une exposition sur le \"Street Style\", cet aspect capital de la mode du XXe siècle.
LONDRES - En recensant cinquante-neuf styles, depuis les costumes zoot nés en Californie dans les années quarante jusqu’à la mode des cyberpunks des années quatre-vingt-dix, l’exposition s’attaque à certaines idées reçues et montre, par exemple, que l’Angleterre n’est pas le berceau du "street style", mais que les costumes zoot, et bien des styles qui ont suivi, sont nés dans les grandes villes américaines. La mode de la rue n’a pas été créée par la classe ouvrière, elle s’exprime dans toutes les classes sociales.
Les médias, loin de nous avoir appris à identifier la plupart des caractéristiques de ces styles, nous ont au contraire abreuvé de multiples stéréotypes inexacts. L’exposition démontre enfin que la mode de la rue n’a rien d’une mode éphémère et changeante, mais que la plupart des styles qu’on y trouve sont immuables : rien ne différencie un punk des années quatre-vingt-dix du modèle original de 1975.
L’exposition nous incite à remonter aux sources de ce mouvement. Les organisateurs ont étudié cette mode, considérée comme l’une des inspirations les plus importantes de l’après-guerre, et ont souhaité définir ses liens avec la musique moderne. Ils ont recensé les diverses influences vestimentaires qui, nées dans les rues des grandes villes, les ghettos, les clubs et les cercles intellectuels des classes moyennes, ont donné naissance à des modes éphémères ou à des classiques de notre époque.
Le perfecto, ce blouson de cuir noir porté par des motards et rendu célèbre par Marlon Brando dans L’Équipée Sauvage, est l’exemple même d’un style né dans la rue et devenu un classique. D’une manière générale, c’est le public qui crée un style. Les stars, en l’adoptant, le rendent populaire.
Anthropologues
L’exposition "Street Style" est le reflet "politically correct" de son époque : les organisateurs se réfèrent aux "minorités", ou à la "culture noire". Leur exposition s’adresse avant tout à la rue, dans laquelle elle est née, et vise à en faire mieux connaître les différentes communautés. Elle brise des stéréotypes, redonne sa fonction sociale et artistique au vêtement, et fait pénétrer un musée national dans la sphère des groupes minoritaires, longtemps ignorés par le monde académique.
Pour étudier la mode de la rue, le personnel du musée et Ted Polhemus, anthropologue et sociologue invité par le musée à participer à l’exposition, ont adopté la démarche d’anthropologues examinant des groupes qui se sont autodéfinis. Ils ont utilisé la vision et le vocabulaire de chaque groupe afin de décrire ses vêtements et ses autres signes corporels, laissant de côté les interprétations classiques de l’anthropologie ou de la sociologie.
Depuis la guerre, la mode de la rue a créé une nouvelle structure familiale, organisée désormais autour de l’adolescent. "Depuis un demi-siècle, nos critères socioculturels traditionnels (classe sociale, race, religion ou région d’origine) ont beaucoup perdu de leur importance", explique Ted Polhemus.
Yves Saint-Laurent et les beatniks
"Ces jeunes se sont donc choisi des signes distinctifs qui leur permettent de définir leur nouvelle famille ; afin d’affirmer leur appartenance à cette culture et pour lui donner une certaine stabilité, ils tiennent à ce que ces signes ne changent pas, adoptant ainsi un style que la mode n’affecte pas".
Le travail préparatoire a consisté à interroger les membres de chaque groupe dans leur milieu, et leur faire raconter l’histoire de leurs vêtements : où ils les achètent, comment ils les fabriquent, combien ils coûtent, quel pourcentage de leur revenus y est consacré, comment et pourquoi ils sont usés. Chaque vêtement présenté dans l’exposition témoigne de ce travail : un texte de son propriétaire accompagne le vêtement et lui donne vie.
D’autres pièces proviennent de couturiers tels qu’Yves Saint-Laurent, Jean-Paul Gaultier ou Vivienne Westwood, qui ont tous repris le style de la rue pour la haute couture. Lorsqu’on lui a demandé quel style l’avait le plus influencé, Yves Saint-Laurent a évoqué les beatniks. Il a tenu à choisir lui-même les vêtements qu’il a prêtés à l’exposition et à rédiger un commentaire les accompagnant. "Street Style" expose ainsi les originaux et les "copies" émanant de la haute couture.
"Street Style", Victoria & Albert Museum, jusqu’à 19 février 1995
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Première exposition sur le "Street Style"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Première exposition sur le "Street Style"