Art contemporain

Pour Etel Adnan, écrire, c’était dessiner

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 20 décembre 2021 - 779 mots

METZ

« Écrire, c’est dessiner » : tel est le titre d’une vibrante exposition collective au Centre Pompidou-Metz née d’une idée de la poétesse et artiste libanaise, disparue le 14 novembre 2021.

À 96 ans, la poétesse et artiste Etel Adnan vient de s’éteindre. Hommage lui est rendu au Centre Pompidou-Metz où venait d’ouvrir, une dizaine de jours avant sa disparition, l’exposition « Écrire, c’est dessiner ». Conçue d’après une idée d’Etel Adnan, cette exposition confronte des manuscrits anciens avec des œuvres d’artistes et d’écrivains contemporains, mêlant écrits et images. Voyage intemporel et universel qui nous plonge dans les origines primordiales de l’expression humaine.

L’origine de l’art

Née en 1925 au Liban, d’un père syrien et d’une mère grecque, Etel Adnan a vécu en Californie avant de s’installer en France. Le métissage culturel, l’amour des langues : cette richesse est inscrite en elle depuis toujours. Pour Etel Adnan, dessin et écriture ont une même origine : un besoin primitif, vital, de s’exprimer, d’être au monde. « Ça vient de l’enfance, il y aura toujours des poètes […]. On a besoin de poésie dans ce chaos et ce bavardage. » Cette proximité entre l’écrit et l’image, Etel Adnan l’interroge dans son travail. Depuis le début des années 1960, elle détourne des leporellos, ces petits livres accordéons sur lesquels elle peint et écrit. Ici, des dessins, tantôt formes colorées abstraites, tantôt éléments de paysages, terrestres ou célestes. Là, des mots rendant hommage aux poètes du monde entier. Et, parfois, le mot se mêle aux signes, comme dans Signs (2018) ou L’Apocalypse arabe (1980), où Etel Adnan réinvente une nouvelle manière d’écrire la poésie.

Il y a dans ces diverses inscriptions un amour pour la poésie et un amour du corps. Une sorte de nostalgie de la lettre manuscrite, avant que ne vienne la dématérialisation du monde numérique. La lettre manuscrite permet de sentir la personne qui écrit, sa personnalité, son humeur. Comme le montrent, dans l’exposition de Metz, ces lettres écrites par Van Gogh ou Arthur Rimbaud, qu’Etel Adnan a tenu à exposer. « Écrire, c’est dessiner », c’est laisser sur une feuille la trace d’un corps qui a vécu, éprouvé. Dans le travail d’Etel Adnan, la question de l’empreinte corporelle est essentielle. Elle renvoie à quelque chose d’originel, de tribal, d’archétypal. À l’instar de certains signes, qu’inscrit sur leporello Etel Adnan, en écho aux inscriptions sur les parois de la grotte de Chumash découverte en Californie. Au-delà du langage, l’énergie du trait tend à l’universel.

Guerre et soleil

Humaniste, existentialiste, l’œuvre d’Etel Adnan a affaire avec les ambivalences de la vie humaine. Ses beautés et ses noirceurs. Ses croyances et ses doutes. Le sacré, le soleil, la mort, la disparition, la guerre sont des thèmes très présents dans son travail. Le soleil, chez elle, est à la fois ce qui réchauffe, apaise et ce qui brûle, blesse. C’est à cette ambivalence que fait écho la grande fresque commandée à Pélagie Gbaguidi, exposée à Metz : « J’ai entendu les couleurs d’Etel, une poésie du tout-monde. » Elle rend hommage aux vies et écrits d’Etel Adnan et d’Édouard Glissant. L’inspiration, esprit incarné en animaux sacrés, y devient écriture. Une narration universelle où le noir s’imbrique dans le chant des couleurs.

Signes

Etel Adnan invente une écriture poétique à travers ces signes noirs qui peuplent certains de ses livres accordéons. Ils parlent à la mémoire collective, de façon tribale, comme nous parle un dessin d’enfant. Croix, trait, virgule, rond. Le signe dessiné a affaire avec une expression originelle qui rappelle l’implication du corps dans le geste d’écrire. Comme la calligraphie, comme les tracés archaïques sur les parois des grottes, le signe est un souffle incarné, la trace d’un corps qui dit en silence quelque chose de l’humanité.

Al-Sayyab, Al-Ummwa al-Ibnat al-Da’i’la (La Mère et la Fille perdue)

Badr Shakir al-Sayyab a révolutionné la poésie arabe par l’emploi du vers libre. Pourchassé pour son militantisme communiste, Al-Sayyab a fui l’Irak en 1952. L’exil est l’un de ses thèmes de prédilection, à l’instar d’Eten Adnan. Il est le premier poète dont l’artiste copie les textes, dès 1964. Sur ce leporello de 1970, les citations se mêlent au jeu très libre des couleurs, tantôt formes abstraites flottantes, tantôt figures au caractère archétypal.

Dhikr

Cette œuvre a été réalisée en 1978, aux États-Unis, pendant la guerre civile au Liban. Par son titre, elle fait référence à l’invocation de Dieu, précepte coranique cher aux soufis. Sur ce leporello, Etel Adnan a inscrit plus de 2 500 fois le mot « Allah », tandis que les formes peintes peuvent faire écho au cosmos. Il y a dans ce caractère répétitif quelque chose de l’ordre de la prière, d’une communion. Un désir de faire corps avec les drames qui frappent son pays.

« Ecrire, c’est dessiner »,
D’après une idée d’Etel Adnan, jusqu’au 21 février 2022. Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz (57). Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : 12 à 7 €. Commissaire : Jean-Marie Gallais. centrepompidou-metz.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°750 du 1 janvier 2022, avec le titre suivant : Pour Etel Adnan, écrire, c’était dessiner

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