Le Musée Marmottan-Monet raconte l’histoire de la pièce maîtresse de sa collection, « Impression, soleil levant » de Claude Monet.
PARIS - Qui n’a jamais lu la critique de Louis Leroy parue dans Le Charivari de la première exposition de la Société anonyme coopérative d’artistes peintres, sculpteurs et graveurs en 1874 dans l’atelier de Nadar, pourra le découvrir et s’en délecter au Musée Marmottan-Monet. Un exemplaire du journal satirique est exposé aux côtés d’Impression, soleil levant dont Leroy parle avec facétie. Ce texte demeure l’élément clé d’un phénomène de l’histoire de l’art toujours vaillant par lequel le mot « impressionniste » apparaît pour la première fois. Cent quarante ans après, le musée parisien célèbre pour la première fois de son existence cette vue d’un bassin du port du Havre au petit matin par Claude Monet, entré dans ses collections par la petite porte et qui fait aujourd’hui sa renommée dans le monde entier.
Impression, soleil levant, un célèbre inconnu ? Selon les commissaires, la célébrité du tableau se résume à l’anecdote de sa réception critique en 1874. Comme ces Parisiens qui ne sont jamais montés sur la tour Eiffel, les historiens de l’impressionnisme, hormis quelques pères fondateurs (John Rewald et avant lui Adolphe Tabarant), se sont très peu penchés sur Impression, soleil levant. L’exposition du Musée Marmottan-Monet fait preuve d’une rigueur et d’une ambition scientifiques inédites pour le lieu. Dans cet accrochage resserré, chaque tableau et chaque document trouvent leur place. Les références obligées aux marines et études atmosphériques de Johan Barthold Jongkind, J.W. Turner et Eugène Boudin ouvrent le parcours et le port du Havre tient bien entendu une place centrale. Car Impression, soleil levant ne s’est pas fait en un jour, il est l’aboutissement d’années d’études et d’observations d’un peintre tout juste trentenaire. Admirez la simplicité du geste : au cours de la cinquantaine d’années qui ont suivi, la tendance aux avant-postes fut de structurer son art selon des manifestes et autres postulats. Claude Monet n’a fait que lancer un « Mettez “Impression” » à qui lui demandait un titre pour cette vue peu identifiable. L’enquête autour du point de vue du tableau sur l’ancienne écluse des Transatlantiques depuis l’hôtel de l’Amirauté est centrale et parfaitement illustrée – celle sur la date et l’heure exacte de son exécution est intéressante, mais dispensable dans la mesure où Impression n’est pas une photographie mais l’œuvre d’un artiste dont l’apanage reste la licence poétique.
L’épopée d’une toile fondatrice
La présence du Déjeuner (1868, Städelsches Kunstinstitut und Galerie, Francfort-sur-le-Main) et du Boulevard des Capucines (1873, The Nelson Atkins Museum of Art, Kansas City) complète la sélection d’œuvres soumises par Monet à l’exposition de 1874. À l’issu de cette présentation,le collectionneur Ernest Hoschedé s’était porté acquéreur de la toile pour la revendre aux enchères quatre ans plus tard à un prix modique. Impression, soleil levant est alors acheté par un admirateur des impressionnistes, Georges de Bellio, qui la transmettra à sa fille Victorine Donop de Monchy – qui sont évoqués au travers de toiles qui leur appartenaient –, laquelle fera don du tableau au Musée Marmottan en 1940, année synonyme de saisies allemandes dans les collections françaises. Là encore, les circonstances de ce don sont éclaircies : Impression fut donné de manière précipitée pour le mettre à l’abri. En témoignent quelques photographies qui illustrent les péripéties du tableau pendant la Seconde Guerre mondiale.
En un clin d’œil, le parcours s’achève sur Soleil couchant sur la Seine à Lavacourt (Petit Palais, Musée des beaux-arts de Ville de Paris, Paris) et la révélation par les historiens d’art de l’importance historique et critique du tableau considéré comme un second couteau de la collection Donop de Monchy, jusque dans les années 1930. Cette fin abrupte ne fait allusion ni au vol du tableau perpétré en 1985 et de sa disparition cinq ans durant dans des circonstances floues, ni aux prêts à l’étranger contre monnaie sonnante et trébuchante pour financer les activités du musée dépendant de l’Institut de France. Les commissaires passent aussi sous silence dans leur introduction au catalogue la grande rétrospective Monet, à Paris en 2010, et à laquelle Impression n’avait pas figuré pour cause de mésentente entre le Musée d’Orsay et l’ancienne direction de Marmottan. Mais là n’est pas le propos de l’exposition.
Commissaires : Marianne Mathieu, adjointe au directeur, en charge des collections du Musée Marmottan-Monet ; Dominique Lobstein, historien de l’art.
Jusqu’au 18 janvier 2015, Musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, tél. 01 www.marmottan.fr. Catalogue, coédité par le musée et Hazan, 224 p., 35 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Plus qu’une impression