Art moderne

XIXE SIÈCLE

L’impressionnisme de la Manche à la Méditerranée

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2024 - 809 mots

Dans la deuxième moitié du XIXe et dans les premières années du XXe siècle, les peintres impressionnistes sont allés se mesurer à la lumière des bords de mer. Le Musée Giverny leur emboîte le pas.

Claude Monet (1840-1926), Marée basse aux Petites Dalles, 1884, huile sur toile, 60 x 73 cm, Potsdam, Museum Barberini, Hasso Plattner Collection. © Hasso Plattner Collection
Claude Monet (1840-1926), Marée basse aux Petites-Dalles, 1884, huile sur toile, 60 x 73 cm, Potsdam, Museum Barberini, Hasso Plattner Collection.
© Hasso Plattner Collection

Giverny (Eure). Pour célébrer les 150 ans de l’impressionnisme, Cyrille Sciama, directeur du Musée des impressionnismes, a choisi le thème de la mer, celui aussi du tableau qui a donné son nom au mouvement. Il ne pouvait obtenir le prêt d’Impression, soleil levant (1872) de Claude Monet, car cette vue du port du Havre figure à l’exposition « Paris 1874. Inventer l’impressionnisme » au Musée d’Orsay. D’autres représentations de ports et de mouillages, allant jusqu’au XXe siècle avec Camille Pissarro et Paul Signac, ouvrent donc le parcours. On n’y trouve pas de tableaux des lointains inspirateurs, Claude Lorrain ou Joseph Vernet, mais un précurseur, Camille Corot, avec Barques de pêche et voiliers (1853-1859) et Trouville, bateaux de pêche échoués dans le chenal (1875). Ces huiles sur carton et sur papier réalisées en plein air révèlent un aspect peu connu de l’artiste rattaché à l’école de Barbizon : il fut l’un des premiers, dans les années 1820, à se rendre de Paris à Honfleur pour peindre. Une petite eau-forte, Soleil couchant. Port d’Anvers (1868) de Johan Barthold Jongkind, artiste que Monet rencontre en Normandie en 1862, montre à quel point le futur maître de l’impressionnisme s’est nourri de son entourage. Avec ses grands bateaux aux voiles carguées, sa barque qu’un marin mène à la godille et son soleil bas dans le ciel, l’œuvre du Néerlandais anticipe Impression, soleil levant.

Une grande place est donnée dans l’exposition à Eugène Boudin. Monet, qui l’a rencontré en 1858, a dit de lui qu’il lui devait tout. Le commissaire ne manque pas de rappeler que l’on commémore cette année le bicentenaire de sa naissance et présente 28 œuvres de l’artiste tout au long du parcours, soit plus du quart de l’accrochage. Il y a bien sûr des pastels et ces petits tableaux de villégiature qu’il vendait à la riche bourgeoisie. Mais ce sont surtout les marines et les scènes décrivant la vie des travailleurs de la côte qui attirent le regard : ciels immenses du Port de Camaret (1872) et du Bassin de l’Eure au Havre (1885), nuage noir du magnifique Un grain (1886) où deux voiliers de pêche traversent la tempête escortés par des goélands, laveuses de Normandes étendant du linge sur la plage (1865) et de Lavandières près de Trouville (vers 1872-1876), goémoniers de La Plage de Deauville (1893).

Dissolution du motif

Parmi les plus de 80 œuvres exposées se trouvent peu de tableaux de Monet car ils sont très demandés, plus encore en cette année célébrant l’impressionnisme. Mais une merveille se niche parmi ceux qui sont présentés : Marée basse aux Petites-Dalles (1884, [voir ill.]), une toile intensément lumineuse dont la dissolution du motif annonce les séries des « Waterloo Bridge » et des « Nymphéas » qu’il peindra au début du XXe siècle, ou encore La Pointe du Petit Ailly (1897) dans laquelle le poste des douaniers, cette petite maison de Varengeville qu’il a souvent représentée, se résume à une forme géométrique rose.

Mais la mer n’est pas uniquement la Manche, même si l’exposition s’inscrit dans le cadre du festival Normandie impressionniste. C’est la mer du Nord que l’on retrouve chez Alexandre Marcette dans En route. Bateaux sur la mer du Nord (sans date), la Méditerranée avec Petit Port (1919) d’Auguste Renoir, Les Bords de la mer à Palavas (vers 1854) de Gustave Courbet, Rochers à la pointe de la Baumette (1893) d’Armand Guillaumin, et enfin l’Atlantique breton. Monet a rapporté de sa série peinte à Belle-Île Les Rochers de Belle-Île, la Côte sauvage (1886), où l’agitation de la mer et du ciel répond aux reliefs coupants du granit rose. L’école bretonne est largement représentée avec Maxime Maufra – sa radieuse Entrée du port de Port-Goulphar, Belle-Île-en-Mer (1909) a été prêtée par le Musée Thyssen-Bornemisza (Madrid) – et Henry Moret dont Gros temps à Doëlan (sans date) illustre cet impressionnisme qui a fleuri dans la continuité des rassemblements de peintres au Pouldu et à Pont-Aven. Parmi ceux-ci se trouvait Paul Gauguin qui entraîne le public vers un ailleurs évoqué par son Paysage de Te Vaa (1896), hymne à la beauté primitive de Tahiti où il place « des éléments symbolistes qui concluent l’impressionnisme »,écrit Cyrille Sciama dans le catalogue. Le commissaire a choisi de terminer le parcours par le thème de « La Fuite ». Dans la célèbre œuvre d’Édouard Manet L’Évasion de Rochefort (1881), commémorant l’évasion de Nouvelle-Calédonie du journaliste communard déporté Henri Rochefort, le Pacifique Sud sur lequel vogue la barque des fuyards éclairée par la lune occupe presque toute la toile. On ne peut s’empêcher d’être ému par cette toile, son auteur, déjà très affaibli par la maladie qui devait l’emporter, semblant avec cette œuvre confier son propre destin à la mer.

L’impressionnisme et la mer,
jusqu’au 30 juin, Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : L’impressionnisme de la Manche à la Méditerranée

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