Jean-Pierre Pincemin disait en riant « J’aurai une rétrospective quand je serai mort”†! » Il fut sur ce point, comme tant d’autres, d’une magnifique lucidité. Cinq ans après sa disparition, trois musées lui consacrent sa première rétrospective.
Collégien, Pincemin (1944-2005) fait l’école buissonnière, il préfère regarder les tableaux au Louvre ou dans les galeries de Saint-Germain-des-Prés. Singulière distraction pour un adolescent. Il obtient un diplôme de tourneur. Dès lors, ses journées se divisent en deux mondes différents, le matin à l’usine, l’après-midi dans le monde de la création. Jusqu’en 1972, date à laquelle il se consacre définitivement à la peinture.
« Je manque de science, mais j’essaie toujours ce que je ne sais pas. » Pincemin rassemble les contraires. Une ambivalence qui fait sa singularité. Flagrante quand on sait sa double formation. Intrigante quand on devine la précision que requiert le métier de tourneur dont on pourrait le croire incapable lorsqu’on regarde sa peinture : cette façon qu’il a de prendre la création à bras-le-corps avec un mélange de brusquerie et de délicatesse. Il explore des gestes sur la toile « libre » sans châssis : des assemblages de carrés-collés trempés dans un bain de couleur, mal découpés, mal ajustés, laissant apparaître les raccords de colle – tels des tracés graphiques – tâches, giclures.
Des empreintes qu’il réalise avec des planches de bois, des grillages, des tôles ondulées plongées dans la couleur. Il peint encore des bandes de toile rectangulaires assemblées en d’immenses surfaces qui font penser à des portiques, des façades palladiennes ou des palissades en planches. Avec les « palissades », il concentre son travail sur la couleur : les teintes posées par couches sur la toile sans apprêt se mélangent au gré des fibres et confèrent à l’œuvre sa densité colorée. Ces rapports entre la texture, la forme et la couleur sont au cœur de quelque chose d’inconnu, de nouveau.
De constants allers-retours
Pincemin a l’ambition de peindre comme Véronèse. Certes. Comme lui ses tableaux s’organisent autour de deux ou trois couleurs et son bleu, doux, aquatique, transparent, ose se hisser à hauteur des fonds du Maître vénitien. Ses « tableaux qui pleurent » ont des coulures de peinture qu’il laisse en l’état, sur lesquelles il passe simplement une légère couche de blanc, d’où ces glacis laiteux. Il saute sur l’occasion que lui donne la peinture pour ériger l’aléatoire en manière. À l’aide d’un couvercle de poubelle, il peint sur une toile neuf ronds à la circonférence imparfaite qui se chevauchent : quel est le rond complet ?
À partir des années 1980, il élabore de monumentales sculptures polychromes faites d’empilements ou d’assemblages de matériaux de récupération, sortes de déchets du monde qu’il magnifie en objets de création à la fois modestes et démesurés. D’autres sont composées de petites plaquettes de bois colorées aux formes étranges.
L’œuvre de Pincemin ne suit jamais une chronologie rationnelle. Son travail effectue des allers et retours dans un cheminement créatif apparemment contradictoire, mais rigoureusement cohérent. À la fin des années 1980, il entame une entreprise de déconstruction de son style, de sa technique, de ses partis pris esthétiques. Sa peinture change radicalement. Violence d’une période : les palissades perdent leur régularité, les couleurs entrent en conflit, le trait noir ferme toute échappatoire. Puis la violence s’atténue par l’adjonction de variations colorées.
Le cycle de « l’année de l’Inde » inspiré des miniatures indiennes aborde une liberté nouvelle, le passage de la forme à la figure. L’image devient ici une proposition reconnue, mais dont l’identification est contrariée : une représentation qui s’achemine vers la figure. Des couleurs, des formes disposées avec précision, proches, mais différentes de la réalité imitée d’une nature morte, d’un paysage ou d’un animal. Sur un fond rouge et jaune, un rameau noir à cinq feuilles occupe la surface de la toile.
Est-ce une grosse fleur ? Des pattes d’éléphant ? Un chemin bordé d’arbres ?
Le passage de la grille orthonormée – celle des carrés-collés et des palissades – aux réseaux d’arabesques de l’année 2005 signe un ultime geste libérateur. L’arabesque supprime l’immobilité en introduisant la mélodie. Elle autorise les variations d’épaisseur et de texture, elle induit les variations rythmiques et rappelle l’usage du pinceau.
La jubilation, la puissance, le souffle, la violence et l’amour sous-tendent l’œuvre de Pincemin. Artiste aux identités multiples, il vécut son utopie en toute liberté et traça une voie singulièrement originale.
1944 Naît à Paris.
1967 Tourneur dans une usine, il découvre l’art au Louvre et dans la galerie de Jean Fournier.
1971 Rencontre Claude Viallat, participe brièvement à Support-Surface.
1984 Sculptures réalisées à partir de l’assemblage de matériaux de récupération.
1995 Réalise à Liège La création du monde sur un plafond de 200 m2 à l’hospice du Balloir.
2005 Décède à Arcueil (94).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Pincemin - Enfin redécouvert
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°624 du 1 mai 2010, avec le titre suivant : Pincemin - Enfin redécouvert