NÎMES
Dans le cadre du programme « Picasso-Méditerranée », initié par le Musée Picasso Paris, le Carré d’art choisit de présenter trente-sept œuvres de l’artiste dans les temps de troubles de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la guerre de Corée, une période d’engagement politique dont Picasso dira qu’elle fut « la pire époque de sa vie ».
En 1936, la tragédie qui ravage l’Espagne, son pays, ne s’est pas communiquée d’emblée dans son art. C’est lorsque la ville basque de Guernica est bombardée, en avril 1936, qu’il est en mesure de créer une œuvre à l’échelle de la violence qui déferle sur le monde. Cette guerre lui arrache ses chefs-d’œuvre les plus convulsifs. Dès la première salle, Guernica est représenté en taille réelle par l’un des quarante-cinq tirages du reportage photographique réalisé par Dora Maar pour Cahiers d’art. Ce chef-d’œuvre, « d’une simplicité terrible », renvoie aux « splendides charniers de l’art » que sont les Massacres de Scio de Delacroix et le Tres de Mayo de Goya, dans lesquels ce sont les mêmes innocents qui gisent côte à côte : enfant égorgé sur le sein de sa mère, femmes que la stupeur égare, taureau effrayant… Après Guernica, la guerre continue à hanter sa peinture. Le thème de la femme en pleurs l’obsède particulièrement. Inspiré par le visage de Dora Maar et répondant aux figures féminines déjà présentes dans Guernica, Picasso invente La Femme qui pleure, une figure hérissée de hachures, de stries, de rayons s’enchevêtrant dans un désordre combiné, métaphore d’un pays qui pleure, et par là même toute l’humanité. La série des femmes qui pleurent en noir et blanc, prolongement direct de Guernica, côtoyant des portraits de Dora Maar éclatants de couleur ou celui d’un chat à la face mi-humaine emportant un oiseau meurtri, offrent des représentations où la beauté et la monstruosité se côtoient. La magistrale Suppliante, couverte de stries qui sont autant de signes d’effroi, clôt la série de commémoration du bombardement de la ville. Au cœur de l’espace consacré à Picasso, plusieurs artistes ont porté un regard sur son œuvre tandis que dans un espace qui lui fait face l’exposition « Lignes de fuite » présente des artistes concernés par les conflits au Moyen-Orient et en Europe de l’Est.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Picasso et les guerres