Photographie

Photographes du monde arabe, une biennale flottante

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2017 - 741 mots

Cinquante photographes arabes et occidentaux contemporains sont exposés dans huit lieux institutionnels ou privés, dans le cadre d’une manifestation malheureusement dépourvue de ligne directrice.

Paris. Parmi les surprises de cette Biennale des photographes du monde arabe contemporain figure l’exposition « Ikbal/Arrivées » (jusqu’au 4 novembre) à la Cité internationale des arts, sous le commissariat de Bruno Boudjelal et avec le soutien de la Mairie de Paris et d’institutions algériennes. L’artiste a sélectionné une vingtaine de photographes à la suite de masterclasses données en Algérie en 2015, des photographes jamais exposés. Il en ressort une énergie bouillonnante, comme dans la série « 20 cents » de Krache Youcef qui explore l’univers des combats de moutons, sous influence de la photographie américaine et du rodéo. Beaucoup de photographies prises sur le vif, et du noir et blanc avec Fethi Sahraoui : de ses portraits d’adolescents dans les stades de foot sourd une violence mal contenue. Même un sujet de prime abord difficile comme la religion trouve une expression poétique dans le travail de Sihem Salhi, qui s’est photographiée pendant qu’elle faisait la prière : la pénombre et le flou des images confèrent à la série un aspect chorégraphique inattendu. La fiction affleure aussi, en particulier chez Ahmed Badreddine Debba déguisé en « Homme à la djellaba » dans une fable visuelle. Bruno Boudjelal se voit comme un « passeur d’images entre la France et l’Algérie », rôle essentiel puisque, selon l’écrivain Kamel Daoud, l’Algérie est un pays d’où sortent très peu d’images contemporaines.
 

L’actualité en filigrane

Ailleurs, la mairie du 4e arrondissement de Paris propose l’exposition documentaire « Sinjar, naissance des fantômes » (jusqu’au 29 octobre) sur les Yézidis d’Irak, que le photographe Michel Slomka a rencontrés après leur libération des griffes de l’organisation État islamique. À côté de portraits classiques il expose des paysages et des ruines mélancoliques, ainsi que des gros plans de vêtements dans la boue : derrière l’aspect graphique de ces tissus se cachent des corps enterrés dans des charniers. L’actualité récente surgit donc ici, contrairement aux affirmations des organisateurs de la Biennale qui souhaitent s’en tenir à distance. L’exposition collective de l’Institut du monde arabe (IMA, jusqu’au 12 novembre) illustre d’ailleurs cette volonté, puisque la commissaire invitée, Olfa Feki, revendique une « vision poétique et même lyrique du monde arabe » à travers sa sélection. Si au premier abord, les tirages semblent lisses, Olfa Feki invite à y regarder de plus près : « Ces œuvres comportent plusieurs couches, au-delà de leur esthétique. Elles abordent des problématiques religieuses ou sociales, et elles transcrivent un rapport personnel au réel. » Le réel donc, mais pas l’actualité, ou alors en filigrane, chez Philippe Dudouit avec le trafic de migrants illégaux en Libye, ou chez la Coréenne Jungjin Lee qui a photographié en noir et blanc les frontières entre Israël et les territoires palestiniens. Les questions sociales sont présentes au travers des séries sur le masculin, mais celle de Scarlett Coten souffre d’un manque de profondeur : il ne suffit pas de faire poser un jeune homme pourvu d’escarpins rouges pour susciter la réflexion. À retenir aussi, les portraits d’hommes tunisiens de Douraïd Souissi, chacun entouré d’une pénombre grise, et l’alphabet arabe très pop d’Ahmad El-Abi, la seule série à faire preuve d’humour.
 

Une vision « décalée » du monde arabe

Dépourvue de ligne éditoriale, la Biennale pâtit aussi de redites, ainsi sur les ruines, auxquelles s’intéressent Stephan Zaubitzer et Moath Alofi à l’IMA, et Xenia Nikolskaya à la Maison européenne de la photographie (MEP, jusqu’au 29 octobre) : le monde arabe serait-il une compilation de lieux vides ? Quel discours sur le monde arabe porte donc cette Biennale ? Pour Jean-Luc Monterosso, directeur de la MEP, l’identité arabe est « multiple » mais enracinée dans « une culture commune », alors que Gabriel Bauret, commissaire général de cette deuxième édition, met en avant une vision « décalée » du monde arabe. Sara Naim, artiste d’origine syrienne qui vit à Londres, évite le terrain politique : « Votre lieu d’origine fait l’artiste que vous êtes, mais mon travail ne commente pas la situation en Syrie. L’interaction entre l’art et le réel n’est pas forcément politique, même pour des artistes arabes. » Mustapha Azeroual, qui vit entre la France et le Maroc, acquiesce : « Ma démarche n’est pas revendicative par rapport à mes origines. L’enjeu est d’intégrer l’univers de la photographie mondiale, et être arabe n’est qu’une classification. » Sara Naim conclut positivement : « C’est important que cette Biennale se tienne en dehors du monde arabe, et qu’elle ne soit pas uniquement politique ! »

 

 

Deuxième Biennale des photographes du monde arabe contemporain,
à l’initiative de l’Institut du monde arabe et de la Maison européenne de la photographie, dans 8 lieux, dates de fin d’exposition diverses, www.biennalephotomondearabe.com

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Photographes du monde arabe, une biennale flottante

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