Prix

Bady Dalloul, lauréat 2018 du Prix des Amis de l’IMA pour la création contemporaine

Par Olympe Lemut · lejournaldesarts.fr

Le 12 juin 2018 - 469 mots

PARIS

L’artiste franco-syrien présente une installation sous forme d’enquête sur un canal imaginaire , une manière d’interroger l’histoire.

Bady Dalloul, The Arabian Canal Document (Qanat al Akhar)
Bady Dalloul, The Arabian Canal Document (Qanat al Akhar)
© Thierry Rambaud / IMA

Le prix de Amis de l’IMA pour la création contemporaine, destiné à un artiste originaire d’un des 22 pays de la Ligue arabe a récompensé cette année l’artiste franco-syrien Bady Dalloul (né en 1986). Sur le thème imposé du Canal, en écho à l’exposition « L’Epopée du canal de Suez », Bady Dalloul a présenté une enquête intitulée « The Arabian Canal Document » sur un canal oublié, creusé dans le désert irakien et syrien pour relier le golfe Persique à la mer Méditerranée. A partir d’archives trouvées et parfois manipulées, l’artiste « prouve l’existence de ce canal » et accumule photographies d’inauguration, cartes topographiques et lettres officielles : les dates et lieux des documents sont effacés, ce qui permet à l’artiste de les insérer dans l’histoire troublée du Moyen orient, hors de toute chronologie reconnue.

Car si les officiers en uniforme qui figurent sur les photographies peuvent appartenir à n’importe quel Etat autoritaire, les décors désertiques, les grands travaux et le soleil indiquent la région d’origine de l’artiste. Dalloul invente donc des scénarios plausibles, des sortes d’uchronies basées sur les événements politiques de Syrie, d’Irak ou d’Arabie Saoudite, dont certains ont touché sa famille par le passé. Dans son enfance il créait un pays imaginaire à partir de souvenirs de vacances en Syrie, désormais il s’interroge sur « la coquille vide » qu’est tout Etat incarné uniquement par des symboles (uniformes, grands travaux, drapeaux).

Fortement marqué par la guerre en Syrie, il réfléchit en permanence à la construction de l’histoire officielle et à l’impact des images, d’où son goût pour les fausses archives, qui s’introduisent incognito dans la masse des images contemporaines. A voir certaines photographies officielles de son œuvre lauréate, il est tentant de faire un parallèle avec la photographie de l’inauguration du nouveau canal de Suez fin 2015, présentée dans l’exposition de l’IMA : que de ressemblances entre les fausses archives et cette photographie où figurent les présidents Hollande et Sissi ! C’est sans doute ce qui explique que l’œuvre de B. Dalloul évoque toujours d’autres images, comme un sentiment de déjà-vu non daté. L’histoire est-elle condamnée à se répéter ?

Si l’artiste refuse de révéler ses sources ou la nature réelle des documents qu’il utilise, c’est pour mieux jouer sur la porosité entre réalité et fiction, une porosité qu’il entretient d’ailleurs en publiant de petits livres sous pseudonyme : d’autres pays et d’autres récits auraient pu exister dans une autre chronologie. Dalloul s’interroge finalement sur l’écriture de l’histoire, et le rôle que peut jouer un artiste : les archives font-elles l’histoire, ou est-ce l’inverse ?

« The Arabian Canal Document » est visible dans l’exposition « L’Epopée du canal de Suez » jusqu’au 5 août 2018 à l’IMA (Paris).

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