SÈTE
Au fil d’une centaine d’œuvres se dessinent les amitiés et les goûts d’un amateur d’art tourné vers le passé plus que vers les avant-gardes.
Sète. « Toute la famille peignait. Peignait dedans, peignait dehors, peignait partout et à toute heure. C’était effrayant ! », racontait Agathe, la fille du poète Paul Valéry (1871-1945). Cette famille, c’était celle fondée par le couple formé de Paul Valéry et Jeannie Gobillard, mais c’était aussi la sœur de Jeannie, Paule Gobillard, et leur cousine, Julie Manet. Tout ce monde vivait dans l’immeuble plein de tableaux construit autrefois par les parents de Julie, Berthe Morisot et Eugène Manet, frère d’Édouard Manet, et situé 40, rue de Villejust dans le 16e arrondissement de Paris. Depuis, la rue a pris le nom de « Paul Valéry »… Julie Manet, fille et nièce de peintres, avait épousé Ernest Rouart, également peintre (et dont le père, Henri, était peintre et collectionneur). Le neveu d’Ernest, Paul Rouart, devait à son tour s’unir à Agathe Valéry. Quant à Paul Valéry, lui aussi peignait depuis sa jeunesse sétoise.
Pour fêter son cinquantième anniversaire, le Musée Paul-Valéry, qui conserve à Sète notamment le fonds Paul Valéry dont la veuve du poète est à l’initiative, s’intéresse au bain artistique dans lequel celui-ci a vécu. Une évocation reposant sur peu de témoignages du poète puisque, comme le visiteur l’apprend dès l’entrée, les écrits spécifiquement consacrés par Valéry à des peintres sont rares. Outre Degas, danse, dessin (1936), on peut citer Triomphe de Manet (1932), Tante Berthe (1926) ou De Corot et du paysage (1932) pour ce qui concerne les artistes du XIXe siècle. Les autres mentions sont à rechercher dans l’œuvre, les notes et la correspondance car, si Valéry ne voulait en aucun cas faire figure de critique d’art, il connaissait assez intimement l’histoire de la peinture pour y faire naturellement référence lorsqu’il voulait préciser ses idées esthétiques.
La première partie de l’exposition est consacrée à la famille et aux amis. D’Édouard Manet, le Musée d’Orsay a prêté Anguille et rouget (1864), mais malheureusement pas Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872), portrait que connaissait bien Valéry car il se trouvait chez Julie Manet. Il lui a écrit une déclaration d’amour dans le Triomphe de Manet : « La peinture en est fluide, et venue facile, et obéissante à la souplesse de la brosse ; et les ombres de ce visage sont si transparentes, les lumières si délicates que je songe à la substance tendre et précieuse de cette tête de jeune femme par Vermeer, qui est au Musée de La Haye. » Dans cette section apparaissent plusieurs chefs-d’œuvre de Berthe Morisot, tels Sur le lac (1864), Jeune femme remettant son patin (1880) et M[onsieur] M[anet] et sa fille (1883), conservés en collection particulière.
Pour ce qui est des amis fréquentant le 40 de la rue de Villejust, les choix se sont révélés plus compliqués. Ainsi Renoir y figure avec plusieurs œuvres. Le délicieux Julie Manet dit l’Enfant au chat (1887), qui se trouvait dans la collection du modèle et donc au « 40 », a toute sa place ici, comme le Portrait de Stéphane Mallarmé (1892), ce dernier, mentor de Valéry, ayant favorisé son mariage avec sa pupille Jeannie. Mais Valéry ne se lia pas d’amitié avec Renoir. À l’inverse, Degas, auquel le poète vouait une admiration sans borne, n’est pas évoqué plus largement que Renoir, ce qui est dommage. Et on aimerait voir ici, de Redon, le Portrait de Paule Gobillard (1900) que le modèle conservait. Il est vrai qu’il est difficile, lorsqu’on aborde un sujet d’exposition touchant quelques-uns des artistes majeurs de l’époque, d’obtenir les prêts correspondant parfaitement au propos : les reproductions présentées dans le catalogue permettent de compenser ces lacunes.
Deux tableaux de Marie Laurencin rappellent la « camaraderie » qui, selon le mot de Valéry, le liait à elle. Aucune mention n’y est faite dans l’exposition, sinon dans le film réalisé par la directrice du musée et commissaire de l’exposition, Maïthé Vallès-Bled. Un visionnage indispensable pour les visiteurs qui ne sont pas familiers de l’écrivain : parfois manquent des cartels développés pour comprendre le cheminement dans la biographie du poète. Mais, après tout, Valéry écrivait dans Le Problème des musées (1923-1925) : « En matière d’art, l’érudition est une sorte de défaite : elle éclaire ce qui n’est point le plus délicat ; elle approfondit ce qui n’est point essentiel. »
Si Valéry fréquenta Édouard Vuillard, il fut indifférent à Bonnard et Matisse et dans l’incompréhension devant Picasso (« Il y a dans cet art quelque chose de certainement neuf. Mais quoi ? », écrivit-il à André Breton). Une petite section est consacrée au musée de Montpellier où le jeune homme découvrit la peinture, à Corot et à Gustave Moreau. De ce dernier, il écrivait dans Degas, danse, dessin : « Il a cherché la poésie ; mais comme plus d’un de ce temps-là, il l’a cherchée dans l’accessoire », se plaignant de ce que son travail était« gris et terne comme un trottoir ». L’exposition se clôt par une sélection de dessins et peintures de Valéry. Sans prétention aucune, il y voyait un délassement. C’étaient, au contraire, des points de vue sur le monde – et sur lui-même à travers des autoportraits incisifs.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°553 du 16 octobre 2020, avec le titre suivant : Paul Valéry, un poète parmi les peintres