Partir à... Montréal

La mutation par l’art

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 25 août 2011 - 1500 mots

Musées, centres d’expositions et fondations privées témoignent de l’appétence de la ville en matière d’art contemporain. Ainsi que de son ambition de prendre place sur l’échiquier de l’art international d’où elle était jusqu’à présent absente.

Si les clichés ont la vie dure – non, on ne vit pas systématiquement sous terre en hiver à Montréal, même si une manifestation comme Art souterrain investit à la fin du mois de février les longs couloirs protégés du froid mordant –, nombre d’institutions montréalaises affichent la volonté de sortir de la torpeur confortable que l’on associe volontiers aux périphéries artistiques pour reconquérir son ambition artistique. Bien sûr, la ville tire déjà sa réputation de ses festivals qui jalonnent son agenda culturel tout en étant incontournable pour la scène rock indépendante. Mais ce que l’on sait moins, c’est que Montréal attire plus d’artistes que partout ailleurs au Canada.

Si le marché est toujours du côté de Toronto, que les scènes artistiques de Vancouver ou de Winnipeg – cette dernière présentée à la Maison Rouge à Paris – sont remarquables, Montréal reste donc une référence qui n’entend pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Les prémices de l’automne voient en effet l’accomplissement de plusieurs grands projets qui devraient la rendre plus attractive encore : une nouvelle aile au Musée des beaux-arts, l’inauguration officielle de l’Arsenal, un espace privé de 3 700 m2, une nouvelle salle de pointe pour l’orchestre symphonique de la ville, sans oublier la Triennale du Québec au Musée d’art contemporain (MAC) au mois d’octobre. Si l’on ajoute la tenue du Mois de la photo et l’activité de rentrée des galeries, des centres d’art autogérés et des fondations privées, il y a résolument de quoi s’occuper à Montréal en ce début d’automne. 

De multiples chantiers
Montréal se construit. En ce moment, les chantiers sont légion. Dans le quartier des spectacles, la fameuse rue Sainte-Catherine est le théâtre de l’achèvement. On sait désormais que ce sont les très provocants BGL (d’ailleurs invités à fêter la Nuit blanche parisienne) qui signeront une des deux œuvres phares dédiées au lieu, intitulée C’est sûrement des Québécois qui ont fait ça ! 
Le Musée des beaux-arts met lui aussi les bouchées doubles pour terminer l’accrochage de son très attendu pavillon Claire et Marc Bourgie, 20 % de surface ajoutée en faveur de l’art québécois et canadien, et complétée par une salle de concert à l’acoustique taillée comme un diamant dans une ancienne église du XIXe siècle. Quant à l’Arsenal, entraperçu à la fin du printemps, il ouvrira complètement avec la tenue d’une grande partie des expositions du Mois de la photo, manifestation qui peut accueillir jusqu’à 375 000 visiteurs en un mois. Montréal se donne les moyens de son ambition.

Selon Marie Fraser, conservatrice en chef du Musée d’art contemporain, le public de son musée, plutôt jeune, vient avant tout voir la scène québécoise et canadienne, puis la scène internationale. Une appétence dont témoigne cette rentrée des arts, signe aussi d’une ambition revendiquée dans une société québécoise qui n’a habituellement pas le goût de plébisciter ses élites intellectuelles. Un désamour alors même que la ville est particulièrement bien dotée : deux musées, deux fondations privées, des centres d’artistes autogérés, la Fonderie Darling (un centre d’art et un lieu de résidences), un programme d’art public vigoureux, deux galeries universitaires dont une de renommée mondiale, et plusieurs revues d’art contemporain de bon calibre, dont Esse en tête de file. Selon Fabrizio Gallanti récemment nommé à la direction des programmes du Centre canadien d’architecture (CCA) : « Montréal est un carrefour, il y a beaucoup de passage. » 

Montréal, locale et internationale
La spécificité de Montréal : sa capacité à bien montrer sa scène locale et son écrin canadien sans que cela passe pour du chauvinisme tout en s’inscrivant sur l’agenda international de l’art. Le Musée des beaux-arts en est le parfait exemple. Alors que le CCA attire 70 000 visiteurs chaque année (« le défaut d’une programmation ultra-pointue dans une cité périphérique », explique Gallanti), le musée totalisait 611 000 tickets sur l’exercice 2009-2010. À sa tête, la très énergique Nathalie Bondil s’offre le coup médiatique de produire « La planète mode de Jean-Paul Gaultier » avec Dallas et San Francisco tandis que Paris boude l’exposition. L’an prochain, Stéphane Aquin, conservateur pour le secteur contemporain, dévoilera la première rétrospective consacrée au pop Tom Wesselmann. La tête dans les étoiles, résolument.

Quant à la fondation de Phoebe Greenberg, DHC/Art, elle s’offre John Currin, peintre américain ultra-coté. On peut donc venir à Montréal pour voir des têtes d’affiche. D’ailleurs, la galerie de l’UQAM (université poids lourd du paysage académique montréalais avec près de 40 000 étudiants) est dans la même optique en programmant Roni Horn en septembre et Douglas Gordon en février prochain. Rien à voir avec nos galeries universitaires, de l’ambition vous dit-on. 

« Montréal la créative »
Le paysage artistique de Montréal entend bien jouer des coudes sur la scène internationale. Mais cela ne finira-t-il pas par se faire au détriment de ses artistes locaux ? S’ils sont à l’honneur de la Triennale cet automne au MAC, qui programmera Valérie Blass  en 2012, force est de constater que l’exposition inaugurant le mandat de Marie Fraser en février dernier était dédiée à Anri Sala, artiste albanais lié à la France. Heureusement, les collections permanentes sont généreuses dans le domaine québécois, car en raison de leurs budgets respectifs plus que raisonnables, les musées misent sur le prospectif, québécois et canadien donc. 

Ainsi, le visage de « Montréal la créative », pour reprendre le titre d’un récent ouvrage dirigé par Marie-Andrée Lamontagne, est celui du dynamisme. En espérant que les tiraillements qui existent entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ne viendront pas gâcher cette ambition retrouvée.

Le Musée d’art contemporain
Fondés en 1964, le musée et sa collection, qui furent les premiers à être entièrement consacrés à l’art contemporain au Canada, reprennent du poil de la bête depuis l’arrivée de la commissaire et critique d’art Marie Fraser, conservatrice en chef de l’institution. Celle-ci cornaque la prochaine Triennale du Québec encore sous embargo. On sait juste qu’à partir du 7 octobre Rafael Lozano-Hemmer aménagera une installation multimédia d’envergure dans l’espace public. En attendant l’agrandissement du musée qui ne peut montrer que 5 % des 78 000 œuvres de sa collection dont le point de départ est l’année 1934.

www.macm.org

Le Musée des beaux-arts
Point d’orgue de la nouvelle saison, le nouveau pavillon (20 % de surface d’exposition en plus sur cinq niveaux) rassemble des œuvres autochtones, retrace l’histoire coloniale du Québec et du Canada, traverse l’époque des salons du XIXe siècle, de la modernité et des grands manifestes. Soit près de 600 œuvres. Parallèlement à sa programmation d’expositions temporaires, le musée, qui s’est toujours attaché à dévoiler quelques-uns des trésors de sa collection éclectique et à en offrir l’accès gratuitement, ajoute désormais dans son offre 2 000 m2. L’an passé, pour son 150e anniversaire, il a reçu l’une des rares éditions de l’intégrale des Désastres de la guerre de Goya (1810-1820).

www.mbam.qc.ca

Centre canadien d’architecture
Le CCA est à ce jour l’une des références mondiales en matière d’architecture. Installé à Montréal à l’initiative de Phyllis Lambert depuis 1979, le centre est un formidable équipement de recherche (70 résidences par an), de conservation (50 000 photographies, 1 500 dessins de Mies van der Rohe, les archives Gordon Matta-Clark…) et de programmation. Les expositions y sont pointues et ambitieuses, comme celle consacrée à l’architecture pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’au 18 septembre. Le bâtiment d’allure austère est appuyé à une maison de 1874 entièrement restaurée, un chantier qui lança au Québec une prise de conscience salutaire de son patrimoine architectural.

www.cca.qc.ca

DHC/Art
Fondation privée créée à l’initiative d’une héritière de l’hôtellerie, Phoebe Greenberg, la DHC/Art a ouvert en 2007 dans le Vieux-Montréal et invite principalement des têtes d’affiche, preuve de son ambition internationale : Jenny Holzer l’an dernier et, avant elle, Christian Marclay, Sophie Calle ou encore Marc Quinn… Et aujourd’hui, le peintre américain John Currin associé à la Flamande Berlinde de Bruyckere jusqu’en novembre. Répartie sur deux bâtiments historiques, la fondation a fait le choix de montrer des expositions le plus souvent monographiques (elle fut aussi mécène du pavillon canadien d’Altmejd à la Biennale de Venise en 2007) et multiplie les rencontres, avant-premières de films d’art et conférences.

www.dhc-art.org

L’Arsenal
Tout nouveau, cet ancien arsenal ouvre officiellement ses portes en ce mois de septembre 2011 avec les expositions d’Isabelle Hayeur, vedette de la photographie québécoise, à la galerie Division, et celle du 25e anniversaire de la galerie René Blouin, le premier à avoir exposé Vanitas : Robe de chair pour albinos anorexique de Jana Sterbak en 1987. Anne-Marie et Pierre Trahan, les propriétaires du complexe, continuent de dévoiler des pans de leur collection avant d’accueillir d’autres collectionneurs privés tandis que la grande halle (plus de la moitié des 3 700 m2) accueille jusqu’au début du mois d’octobre le Mois de la photo.

Griffintown, 2020, rue William, H3J 1R8, fermé dimanche et lundi.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°638 du 1 septembre 2011, avec le titre suivant : Partir à... Montréal

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