Sonia au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Robert au Centre Pompidou : le couple Delaunay fait l’objet de deux expositions distinctes. Rétrospective très complète pour la première, retour sur les grands décors conçus pour l’Exposition internationale de 1937 pour le second, ces deux manifestations renouvellent la vision d’un duo en phase avec la vie moderne.
PARIS - Kandinsky et Münter, Jawlensky et Werefkin, Kahlo et Rivera, tous ces artistes ont en commun d’avoir formé des couples, pendant une période plus ou moins longue. Ces « unions artistiques », loin d’être semblables, offrent chacune un caractère singulier. La particularité de Sonia Delaunay (1885-1979) et de Robert Delaunay (1885-1941) est non seulement de travailler côte à côte, mais en plus de collaborer. Leur production plastique se nourrit mutuellement et évolue de façon harmonieuse. Il n’en reste pas moins que, comme toujours, l’histoire de l’art a choisi son héros : c’est Robert.
Non pas que Sonia soit une artiste maudite, inconnue du grand public. Mais son nom reste surtout attaché aux arts décoratifs. Tandis que son époux est montré comme l’un des pionniers de l’abstraction.
Le mérite de la double exposition qui se déroule au Centre Pompidou et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris est de rectifier cette vision réductrice de l’œuvre des deux artistes. La présentation consacrée à Robert, axée autour de l’Exposition universelle de 1937, atteste de l’importance que prend son travail monumental dans l’espace public. Celle de Sonia, une rétrospective très complète, est une parfaite démonstration de l’étendue de sa création.
Le parcours s’ouvre sur ses débuts parisiens (elle est d’origine russe) avec quelques autoportraits et le formidable Nu jaune (1908), au chromatisme violent et saturé et aux lignes anguleuses et agressives. On assiste ainsi à un exemple étonnant de synthèse entre le fauvisme et l’expressionnisme, à l’image du groupe allemand Die Brücke que Sonia connaît grâce à son premier époux, le marchand Wilhelm Uhde.
Contrastes simultanés
Rapidement, toutefois, en même temps que Robert, elle va opter pour ce pouvoir dynamique
obtenu par des contrastes simultanés de couleurs, selon la théorie de Chevreul. La répartition des teintes spectrales, étalées en cercles concentriques ou en courbes, engendre un mouvement rotatif (Contraste simultané, 1912). Apollinaire, qui a baptisé « orphisme » ce qu’il considère comme une version poétique du cubisme, affirme que ces œuvres sont « la première manifestation de l’art inobjectif en France ». Sans doute, mais en même temps les Delaunay s’investissent dans la vie moderne, cherchent à démontrer avec leur production plastique les racines communes aux changements techniques et aux transformations artistiques. À lui, la tour Eiffel, symbole de la ville de Paris : ce triangle élancé devient un empilement de lignes brisées et de formes désarticulées, distribuées sur la surface de la toile. À lui encore l’aviation avec la série « Hommage à Blériot ».
À elle, les lumières électriques qui brillent de mille feux sur les boulevards ou le bal Bullier. Ici, ce sont les éblouissants Prismes électriques, ces surfaces où les couleurs, délimitées par un trait plus ou moins net, viennent baver selon le jeu des coups de pinceau ou bien se fondre presque imperceptiblement dans les couleurs voisines. La modernité peut être également symbolique : voir La Prose du Transsibérien…, le poème de Blaise Cendrars que Sonia enlumine en 1913.
Design textile et d’intérieur
C’est Sonia encore qui est à l’origine des ateliers où, en rapport avec son travail pictural, elle se lance dans des projets touchant à tous les domaines de la vie (motifs pour des tissus et des vêtements ; costumes pour le théâtre, le ballet et le cinéma ; design d’intérieur ; publicité…). Il s’agit d’une véritable manufacture mais aussi d’une vision de la vie moderne, qu’elle décrit comme l’avenir de la production de mode : « Il y aura des centres de création, des laboratoires de recherche travaillant avec le design pratique des vêtements, en développement constant parallèle aux nécessités de la ville. »
Si Robert est moins présent dans cette aventure, il occupe en revanche une place centrale à ce moment essentiel de leur carrière qu’est leur travail en commun pour l’Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne de 1937 (palais de l’air et palais des chemins de fer). Ces grandes décorations murales démontrent que l’abstraction fondée sur les rythmes et les ondulations chromatiques peut s’adresser à « l’Homme qui sent, qui fait appel à ses facultés intuitives qu’il rend concrètes, tangibles, par le langage universel de la couleur », déclare-t-il. Bref, un art social par excellence.
Sonia Delaunay Commissaires : Anne Montfort et Cécile Godefroy
Nombre d’œuvres : 400
Robert Delaunay Commissaire : Angela Lampe
Nombre d’œuvres : 150
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À Paris, les Delaunay font la paire
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Abonnez-vous dès 1 €Sonia Delaunay, les couleurs de l’abstraction, jusqu’au 22 février 2015, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av du Président-Wilson, Paris 75116, tél 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h, www.mam.paris.fr
Robert Delaunay, rythmes sans fin, jusqu’au 12 janvier, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21h, www.centrepompidou.fr
Légende photo
Sonia Delaunay, Prismes électriques, 1913-1914, huile sur toile, Davis Museum, Wellesley College, Wellesley. © Pracusa 2013057. Davis Museum at Wellesley College, Wellesley.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : À Paris, les Delaunay font la paire