À la galerie In Situ-Fabienne Leclerc, à Paris, l’artiste nigériane Otobong Nkanga, née en 1974, a disposé des œuvres de diverses natures, dans lesquelles s’entremêlent souvenirs et considérations sociales, historiques et économiques.
Diriez-vous que votre travail, intéressé par la question des ressources naturelles, est de nature écologique ?
Je suis consciente des matériaux que j’utilise. Dans plusieurs de mes œuvres, il s’agissait de réfléchir à la meilleure manière de les réaliser et de les rendre durables également. Et parfois aussi de travailler directement avec des gens produisant localement afin d’éviter des transports. Mais ce n’est pas la même chose de penser à la manière de faire et de penser à un niveau écologique. Je me pose beaucoup de questions sur l’écologie par rapport à notre société ; on parle de durabilité, de changement climatique, etc. Mais en même temps, je crois qu’il n’est pas possible d’être écologique car on a besoin d’énergie, et tout le monde doit manger, vivre et s’habiller. On peut essayer de réduire, mais il n’y a pas de durabilité globale possible, je crois.
Votre œuvre présente des strates, des réseaux, des empilements parfois complexes. Cela participe-t-il d’un propos sur une archéologie qui permettrait de comprendre ou de percevoir des choses qui ne sont pas visibles à l’œil nu ?
Je vois les choses avec des couches, je ne parviens pas à les regarder autrement, alors dans le travail elles se connectent en quelque sorte. Lorsque l’on commence à creuser à propos de quelque chose, un objet, on voit qu’il y a là une histoire et il est difficile de ne pas se demander : « Mais qu’est-ce que c’est que cette forme ? ». Et il s’agit vraiment d’une sorte d’archéologie en effet, de strates, une manière de déconstruire ou de décortiquer des choses, dans un sens parfois scientifique ou ethnographique. Mais tout se rejoint et je crois en fait que ces strates font partie de tout ce que l’on est. Quand je pense à moi, parfois je me demande d’où viennent mes dents ou mes yeux, tout cela est une accumulation d’histoires. Mais la plupart du temps, toutes ces strates ou ce qui les réunit sont cassées, fragmentées, et je tente de trouver où cela fait sens dans cet espace fragmenté. Peut-être cela ne fera-t-il pas sens d’une manière logique mais esthétique, susceptible de mettre en place des relations parallèles.
Dans l’une des salles de l’exposition, se côtoient des peintures murales et une photographie. D’une manière générale, prenez-vous toujours appui sur une situation constatée ou une recherche effectuée ?
Un peu tout cela. Parfois il s’agit de choses que j’ai rencontrées dans ma vie, ailleurs, et parfois c’est juste une image qui m’apparaît et est parfaite. Cela dépend aussi des désirs et des nécessités. Ici je suis partie d’un espace vide, j’ai commencé à dessiner et, au fur et à mesure, des choses ont commencé à faire sens, mais il s’agit de plusieurs pensées. La photo est intitulée Shaping Memories (2002), ce sont des images découpées dans des magazines qui toutes me rappelaient des choses de l’enfance, et je me suis demandé : « Comment peux-tu donner forme à tes souvenirs ? ». Ici la mémoire est faite seulement de découpages et de fragments. Cette salle se présente comme une constellation. J’ai peint cette femme avec les cheveux qui envahissent l’espace comme une carte géographique.
Cherchez-vous à aborder les enjeux du pouvoir économique ?
Je ne sais pas ! Quand j’ai fait les photos de la série « Currency Affair & War and Love Booty » (2011-2016), j’ai regardé les objets ethnographiques dans un musée et je me suis focalisée sur tous ceux réalisés en métal. C’était intéressant d’observer les objets en fonction de leur mode de fabrication et de la perte ou dégradation d’un savoir-faire qui était lié à l’économie, à la possibilité d’importation et d’exportation. Quand l’économie dévalue les objets, qu’advient-il de la manière de les produire ? C’est tellement imbriqué. Donc, d’une certaine manière, mon travail traite de ces questions. Ce n’est probablement pas la première couche, mais j’y prête attention à l’intérieur de mon espace de pensée productive.
Jusqu’au 30 juin, In Situ-Fabienne Leclerc, 16, rue Michel-Le Comte, 75003 Paris, tél. 01 53 79 06 12, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
www.insituparis.fr
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Otobong Nkanga : « Dans le travail, des strates se connectent »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Otobong Nkanga : « Dans le travail, des strates se connectent »