Design

DESIGN

Objets virtuels

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2020 - 830 mots

NANCY

L’artiste Pierre Giner a conçu un programme informatique qui propose d’« autres façons de montrer » la collection design du Fnac. Au Musée de Nancy, l’expérience est peu engageante.

Nancy (Lorraine). Jouir d’une immense collection, riche de près de 105 000 œuvres, sans disposer de lieu pour la montrer : là est la particularité du Centre national des arts plastiques (Cnap). Ce Fonds national d’art contemporain fait, en revanche, l’objet de dépôts dans une multitude d’institutions culturelles ou de prêts dans le cadre d’expositions temporaires. Depuis cinq ans, un partenariat s’est noué entre le Cnap et le Musée des beaux-arts de Nancy pour présenter, en la capitale des ducs de Lorraine, la collection design, l’une des plus importantes d’Europe avec ses quelque 8 000 items. Il y eut « Zone de confort » en 2015, sorte d’introduction au design sur la question du confort, suivie du « Grand détournement », en 2017, autour de « la figure du designer au travail et son processus de création et de production », toutes deux présentées à la Galerie Poirel. Le troisième et dernier volet de ce triptyque, intitulé « Le droit des objets à (se) disposer d’eux-mêmes », s’installe au sein du musée nancéen. C’est la première grande différence avec les deux précédents opus : au lieu d’un espace qui lui est consacré, la présentation s’immisce dans des collections existantes. La seconde distinction est la place faite à la virtualité, le commissariat de l’exposition ayant été confié à Pierre Giner, l’artiste qui a fait des nouvelles technologies, jeux vidéo et sites Web son terrain de jeu.

Venir s’implanter à l’intérieur d’une institution déjà très pourvue n’est évidemment pas chose aisée : « L’une des difficultés de cette exposition, explique Pierre Giner, est de s’insérer dans le musée tout en étant visible, de “faire lieu” dans le lieu, d’où la nécessité de dessiner des scènes pour faire exister les objets. » Se déploie ainsi une quinzaine de meubles et objets « en trois dimensions ». Plantées au milieu de deux vastes salles du premier étage, les larges assises en balles gonflables Adada et Naufragéssur lit de moquette de Florence Doléac semblent avoir toujours été là. De même que, au sous-sol, comme en subtil clin d’œil aux vitrines du musée dévolues au verrier historique local Daum, les vitrines accueillant « La Boutique » de Jasper Morrison, soit un ensemble de 196 objets du quotidien dessinés par le designer anglais ou d’autres confrères/consœurs, voire par des anonymes.

D’autres choix de scénographie sont moins pertinents. Intitulée « Les Fantômes », une série de tirages photographiques agrandis d’objets de design se retrouve ainsi plaquée derrière d’imposants bustes – dont un Louis XV en Apollon de Lambert Sigisbert Adam –, tels des lés de papier peint dépourvus du moindre cartel. Montrer ou ne pas montrer ? Le commissaire semble hésiter. Dans ce même registre du doute figure le design graphique, avec quelques maigres typographies se faufilant, tant bien que mal, sous une suite de tableaux anciens.

Les représentations possibles de la collection

La seconde partie de l’exposition concerne non la collection design en tant que telle, mais ses représentations possibles. C’est de loin le volet le plus important et pour cause : répondant en 2010 à une commande publique du Cnap, Pierre Giner a produit une œuvre numérique baptisée CnapN qui se veut « un générateur d’expositions virtuelles ». Par le biais de ce « programme informatique », il dévoile, ici, « de nouvelles façons de montrer la collection design ». Avec « L’Abécédaire », on la découvre de manière basique en cliquant sur des mots-clés (le nom du designer ou de l’éditeur, une typologie d’objets ou de matériaux…), afin que les pièces s’affichent sur quatre écrans et sous toutes leurs coutures. La « Cimaise de ré-accrochages », elle, représente virtuellement des cimaises du musée nancéen sur lesquelles le visiteur peut s’amuser à remplacer les œuvres historiques par des images des pièces du Fnac. Ailleurs, ces images peuvent aussi, via un casque de réalité virtuelle, venir « agrémenter » les intérieurs d’une maison fictive de Jean Prouvé. D’autres « façons de montrer », enfin, mettent en scène un iPod (Apple, 2003), qui égrène, en boucle, telle une liste de courses, l’intégralité des titres des pièces de cette collection design. Ou bien, Hangar, une nouvelle de l’écrivain Daniel Foucard, est diffusée dans le salon d’écoute audiovisuelle Canvea d’Olivier Vadrot, tandis qu’un logiciel de reconnaissance passe le texte au tamis, illustrant par l’image les mots qui défilent sur un écran géant lorsqu’il s’agit d’un objet ou d’un meuble.

On l’aura compris : ce qui s’expose, c’est moins la collection design du Fnac proprement dite – les objets physiques sont peu nombreux –, que l’interprétation virtuelle qu’en fait l’artiste Pierre Giner. Celui-ci « interroge le principe de collection », selon ses termes, davantage qu’il ne montre ladite collection. Le risque, avec cette exposition mi-réelle, mi-virtuelle, est de deux ordres. D’abord, avec des pièces éparpillées çà et là, le propos est peu identifiable. Ensuite, au lieu de donner accès à un maximum d’œuvres, l’outil numérique peut, a contrario, susciter une certaine mise à distance. Dans les deux cas, le public pourra être logiquement déstabilisé, sinon frustré.

Le droit des objets à (se) disposer d’eux-mêmes,
jusqu’au 18 janvier 2021, Musée des beaux-arts, 3, place Stanislas, 54000 Nancy.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°555 du 13 novembre 2020, avec le titre suivant : Objets virtuels

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