Au Grand Palais, Nicolas Poussin ne déçoit pas : "Je sais varier quand je veux" a-t-il écrit et l’heureuse réunion de ses œuvres vient le prouver à qui en douterait encore. Peu d’artistes, en effet, se sont montrés d’une si constante élévation sur des modes aussi divers.
PARIS - Tout manifeste ici, avec une acuité hors du commun, la quête d’un homme sensible aux plus subtiles inflexions de l’esprit et de la matière. Et l’on comprend soudain le mot célèbre de Cézanne : "Toutes les fois que je sors de chez Poussin, je sais mieux qui je suis".
Il ne s’agit donc pas tant d’une ordinaire rétrospective que d’un irréductible et continu discours sur l’art que l’analyse la plus rationnelle ne saurait épuiser. L’impression est d’ailleurs singulière, sur le parcours de l’exposition, de voir peu à peu disparaître l’artiste, tandis que s’impose un pur jeu de dénonciation poétique, soudainement intemporel. Plus grande encore est l’impression, au sortir des salles, que l’on doit ce prodige à un seul homme : l’individu Poussin réapparaît.
Tableaux dans la pénombre
Il faut d’ailleurs que l’artiste soit d’une force d’expression tout exceptionnelle pour supporter les difficiles conditions dans lesquelles il est présenté. Le choix qui a été fait d’exposer ses œuvres en lumière naturelle lui est, à cet égard, très dommageable, non dans le principe, qui est excellent, mais dans l’application qui, en l’occurrence, n’est pas – beaucoup s’en faut – à la mesure du principe. Les salles d’exposition, profondes et éclairées d’un seul côté, forment des puits de lumière occasionnant reflets, contre-jours ou malheureux dégradés.
L’éclairage artificiel d’appoint ne réussit pas à compenser – à moins de contredire le parti pris initial – ce regrettable inconvénient. Toute règle ayant ses exceptions, il était toutefois concevable – et préférable – d’augmenter un peu les effets de la lumière artificielle là où l’éclairage naturel n’était pas suffisant. La salle consacrée, entre autres, aux tableaux relatant des épisodes de la vie de Moïse, peints pour Pointel et le cardinal Massimi, y eût beaucoup gagné.
L’œuvre de Poussin, on l’a assez dit, est suffisamment difficile d’accès sans que l’on impose au visiteur peu averti l’effort supplémentaire de devoir scruter les tableaux dans la pénombre, surtout si l’on souhaite – et c’est le cas – faire valoir d’abord, et avant tout, sa dimension plastique.
Mêmes réserves concernant le rouge froid – cela existe – utilisé en fond des deux séries des Sept Sacrements. Sans doute la volonté de singulariser ces tableaux mythiques et de constituer un écrin à leur mesure a-t-elle présidé à ce choix. Le moins que l’on puisse dire, cependant, est que ce rouge provoque de fâcheuses dissonances avec le chromatisme plus complexe et nuancé de Poussin. Une teinte plus neutre – comme le gris pâle des autres salles –, ou plus chaude, eût assurément mieux convenu. Mais fi de ces problèmes d’intendance, Poussin s’expose au Grand Palais, magistralement !
Au Musée Condé
L’exposition de Chantilly, quoique plus modeste, laisse une impression également très forte, et les coupes franches qui ont été opérées dans le fonds des dessins de l’artiste – tous sont exposés – valorisent d’autant mieux les qualités spécifiques de son graphisme.
Osera-t-on dire, cette fois, que l’éclairage semble un peu fort pour ce qu’il est convenu d’accorder à des feuilles si fragiles ? La petite section consacrée aux tableaux permet une intéressante comparaison entre le Thésée découvrant les armes de son père acquis par le duc d’Aumale, et une version aujourd’hui conservée aux Musée des Offices, parfois présentée comme l’original.
L’avantage est définitivement à la version française, mais requiert, pour être perçu, toute l’attention de l’amateur, qui aurait tort de se priver d’une telle occasion de parfaire son œil et d’accéder in situ aux subtilités de la critique poussinienne. Un mot encore pour le monumental Massacre des Innocents, restauré pour la circonstance et qui vaut à lui seul le déplacement...
Grand Palais, jusqu’au 2 janvier 1995
Chantilly, Musée Condé, jusqu’au 6 janvier 1995.
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Nicolas Poussin tient ses promesses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Nicolas Poussin tient ses promesses